L.G. Pour l’exposition au Musée de Rochechouart tu présentes deux œuvres, Sans titre (2008), une pièce sonore, et Map (2011). Dans ton travail tu utilises des formes génériques, le cône, le tore, les maquettes et les ombellifères. Peux-tu revenir sur ces formes qui t’accompagnent ?
B.L. J’utilise le cône depuis 1987, c’est un tunnel vu en perspective. Au cinéma, tu fais un cône au lieu d’un couloir droit quand tu n’as pas assez d’espace pour accentuer les perspectives. Celui que j’utilise vient du feuilleton voyage au cœur du temps (1966). C’est l’un des premiers feuilletons où il y a un très bel objet, un visuel très poussé, avant 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. L’idée, c’est de travailler l’échelle des choses. Le tunnel pourrait continuer jusqu’à l’infini et le cône est le morceau d’une pièce plus grande ou la maquette d’un espace beaucoup plus grand. C’est un objet qui parle de la vision, c’est le cinéma, Anthony Mac Call et son travail sur la lumière solide créant un cône creux taillé dans la fumée avec un projecteur 16mm (Line Describing a Cone, 1973).
L.G. Et depuis ton retour de New York en 2003, le tore ?
B.L. Le tore c’est mouvant. Cela apparaît visuellement. Cela vibre, c’est singulier et le phénomène de l’apparition se trouve dans un présent spécifique, l’épiphanie que Joyce reprend dans l’apparition d’un arbre, Benjamin parle de l’aura, qui fait image, qui apparaît dans le réel. C’est la condition de ce qu’est la perception.
L.G. Ton travail montre cet endroit, un espace où les choses peuvent rester ?
B.L. Cela parle de la question du temps qui se déroule ou ne se déroule pas, de sa distorsion, son élasticité. Avec l’échelle des choses, c’est un chemin fictionnel intéressant à explorer et très constructif pour mon travail c’est à dire comment les choses t’apparaissent visuellement.
L.G. Comment as-tu eu l’idée de cet objet ?
B.L. Cet objet est apparu avec les trous, toutes sortes de trous, la rotation et les ellipses. Il y a une vertu du trou qui fabrique du vide. J’ai commencé à m’intéresser à Nancy qui n’est pas traversée par une rivière mais par le fleuve de métal des voies ferrées. Ce réseau s’étendait, puis, peu à peu, il s’est rétracté avec l’histoire. Lorsque j’ai découvert Nancy, il y avait cet immense terrain, tel un belvédère qui permet de voir la ville, de prendre un peu de recul, de distance sur les choses, de les regarder. Le terrain vague crée une coupe, une autopsie, et des choses inhabituelles ressortent dans la ville, un programme en attente qui propose, soit des territoires imaginaires, soit des terrains propices à l’invention. Ensuite, ce sont les vortex de toutes sortes. Et Stephen King disait que s’il n’y avait pas de trou noir, le ciel serait blanc, criblé d’étoiles. Alors, dans une forme d’équilibre, la matière est absorbée. L’effondrement des étoiles dans le cosmos, un phénomène de mécanique cosmique, instaure un effet entonnoir comme une spirale dans l’eau. Les trous sont des passages. Pour Alice1, c’est le tunnel, un passage d’un monde à un autre. Le rituel du passage permet d’appréhender le monde avec un autre médium. Imaginer le monde constitué uniquement de choses utiles, c’est mortel. Ensuite, il y a le mot «trans» auquel je me suis intéressé parce que j’aime bien Brion Gysin, sa Dream Machine et les trucs un peu vertigineux. Le terme grec de «trans», signifie «de l’autre côté de», «dans la répétition du même». Au moment où tu inscris une boucle ou un temps semblable dans une linéarité temporelle, tu parles de la transformation. La façon dont tu perçois comment le même se transforme au fur et à mesure qu’il se déroule dans le temps, j’aime bien cela.
L.G. Quelle est l’histoire de Map ?
B.L. Map, comme toutes maquettes météorologiques, parle de la ville, un objet de fascination et d’amour très fort. J’aime la ville d’où je viens et pour la faire vibrer, comme au cinéma la météorologie fait vibrer l’image, ces particules font vibrer l’image et créent de l’espace. C’est la météorologie comme scénario, pas de narration, sauf la météorologie comme sujet de ce qui se passe, une façon de se faire vibrer avec l’irréel qui est propre au médium lui-même. J’aime bien, dans la façon dont la société a évolué, que la capacité d’émerveillement passe par des médiums comme le fantastique ou des objets projectionnels.
L.G. Comment as-tu commencé à travailler avec les ombelles ?
B.L. Emile Gallé a fait venir des plantes du monde entier et notamment des grandes berces du Caucase pour créer un jardin. Cette plante est devenue une espèce d’égérie que l’on retrouve en motif d’un monde qui se projette comme une fiction. Gallé travaille sur le monde des rêves, un monde fantastique, et sa sensibilité féminine crée une mélancolie. Il était aussi ami avec Charcot. C’est l’hypnose, le début de la psychanalyse.
L.G. Les ombelles sont utilisées comme des éléments structurants.
B.L. Elles ont un côté architectural car elles sont un peu fractales. Elles se reproduisent en étages, trois paliers de la représentation de la même chose à des échelles différentes au sein même de la plante. Il y a une sorte de travail sur l’échelle des choses. Et là, c’est magique, cela reprend le problème d’Alice changeant d’échelle lorsqu’elle est en bas du tunnel. Gallé a travaillé sur les échelles et a fait, par exemple, des champignons géants. Dans l’Art Nouveau, l’extension du décor est très curieuse, en changeant d’échelle, en sortant de son cadre, il devient structurel, inquiétant et intéressant. Le décor explose pour devenir un univers. Il y a une sorte d’excentricité quand même assez épatante.
L.G. Les berces dans ton travail sont venues de tout cela ?
B.L. C’est une fascination très simple. En Lorraine, on n’avait pas grand-chose. On avait l’histoire, quand même assez balaise de Nancy, d’Emile Gallé on va à Jean Prouvé. Le paysage nancéen tel que je l’ai aimé c’est celui des bâtiments modernes des Prouvé.
L.G. C’est l’ancrage dans quelque chose ?
B.L. C’est une mythologie personnelle qui peut raisonner avec de grandes problématiques. Jean Prouvé se dit constructeur et refoule l’idée d’une esthétique. Ce qu’il a construit paraît assez archaïque, une brutalité du minimum, une ingéniosité du mécano avec la tôle ondulée et l’aluminium plié.
L.G. Dans ton travail, tu revendiques aussi des formes simples et radicales.
B.L. L’économie des choses me semble importante. Si on a un discours critique sur les choses, il faut peut-être s’interroger sur la stratégie d’occupation du territoire.
Notes