L'exposition «Précurseur sombre», présentée à La Tôlerie de Clermont-Ferrand, est la première d'un cycle de trois projets intitulé «Derrière les panneaux, il y a des hommes» et proposé par la commissaire d'exposition Solenn Morel.
Si ces titres quelque peu énigmatiques convoquent, à la fois, un imaginaire poétique, mais également, une tradition de l'art que l'on qualifierait communément de matérialiste et minimaliste; ils nous sont éclairés dans le communiqué de presse par une référence qui, loin de toujours convoquer ses antennes théoriques, prend appui sur «le mythe d'un univers autoroutier parfaitement aseptisé». Cette métaphore est une méthode pragmatique qui laisse transparaitre une question plus largement abordée dans ce projet : la mécanique du hors-champ, le hors-champ de l'œuvre, mais également celui de l'espace de monstration.
Avec l'expression précurseur sombre, Gilles Deleuze vient rapidement prendre le relai d'un énoncé qui ne se contente pas, on le comprend très vite, d'une approche purement empirique.
«La foudre éclate entre intensités différentes, mais elle est précédée par un précurseur sombre, invisible, insensible, qui en détermine à l'avance le chemin renversé, comme en creux. De même, tout système contient son précurseur sombre qui assure la communication des séries de bordures... Parce que le chemin qu'il trace est invisible, et ne deviendra visible qu'à l'envers, en tant que recouvert et parcouru par les phénomènes qu'il induit dans le système, il n'a pas d'autre place que celle à laquelle il « manque », pas d'autres identités que celle à laquelle il manque : il est précisément l'objet = x, celui qui «manque à sa place» comme à sa propre identité.»
Emprunté au domaine de la science, le concept du précurseur sombre est protéiforme et complexe. Il se définit en ce qu'il «précède la chose», sa révélation. Et pour reprendre les mots du philosophe lui-même, le précurseur sombre met en rapport des potentiels.
Par cette bien trop brève explication, on perçoit alors qu'il ne s'agit pas uniquement de mettre à jour le processus de conception et de fabrication de l’œuvre ou encore de confondre le in et le out de l'exposition. La proposition curatoriale suggère en filigrane une réflexion quant à l'identité de l’œuvre même, de ce qui fait art.
Croquis et pénétrables, système d'accrochage, caisses d'emballages, paroles ou contreplaqué, cailloux, papier.
De par son imposante présence, la Grande Bâche Universelle de Jérémie Gindre assure, une déroutante attraction. Sa déclinaison - car elle adopte à chaque exposition une forme nouvelle - fait subtilement écho à Deleuze. Toujours transformée dans sa réification, la bâche est tel un objet transitoire qui camoufle autant qu'il met en lumière, une métaphore de l'espace d'exposition qui se manifeste telle une sorte de revers.
Louise Hervé et Chloé Maillet ont, elles, choisi de travailler en collaboration avec le musée Bargoin qui possède un important département archéologique et momentanément en cours de rénovation. Dans la lignée d'une pratique d'investigation qui prend généralement la forme d'une conférence, les artistes suggèrent la présence du fonds archéologique - bien que fantomatique - en faisant notamment intervenir dans l'exposition une conférencière du musée alors qu'en retour elles proposent une visite guidée de ses réserves.
Les brouillages esthétiques sont volontairement démontrés, l’œuvre se contiendrait-elle dans l'objet, le protocole...dans son discours ? Y-a t-il encore identité d’œuvre ?
Ici l’œuvre de l'américain Richard Artschwager agirait comme le référent séminal. Crate sculpture, est un caisson dessiné à la mesure d'un vaisselier, c'est donc une œuvre autant qu'un meuble, autant qu'une représentation.
Mélange des genres et des signes, dans un chaos maîtrisé, ce premier volet nous rappelle que, parallèlement à une approche théorique, des considérations morphologiques doivent encore êtres redéployées.