Mains d’œuvres accueillait à Saint-Ouen au printemps dernier la troisième étape du cycle d’expositions «La Part des Choses», orchestré par l’association clermontoise In Extenso, autour du travail d’une quinzaine d’artistes internationaux. «Still Life» (nature morte), titre de l’étape audonienne, projette d’emblée le visiteur dans une ambiance industrielle. Une structure en placoplâtre de Matt Calderwood (Unfinished Structure, 2007) se dresse à l’entrée, tandis que les sacs de ciments et de farine éventrés de Hervé Bréhier (Farine/Ciment, 2008) entravent l’espace sur toute la longueur, les étagères métalliques de Ingo Gerken (Les Éléments d’air, 2008) se déploient suivant un cheminement tortueux et l’odeur d’essence de l’installation de Delphine Reist (Rideau !, 2006) flotte dans l’air.
À première vue, plane la sensation d’être arrivé trop tard et de ne saisir que les traces de l’intervention des artistes, celle notamment de Gerken qui a actionné des bombes de peintures de plusieurs couleurs en différents points de sa structure métallique en direction des murs, formant des taches de peinture plus ou moins régulières. Mais c’est moins le résultat qu’un entre-deux qui est donné à voir, comme la nature morte saisit le périssable à un instant donné. L’inertie de l’exposition sous-tend une tension latente de l’objet qui a été activé ou près à l’être. Soumises à ce rapport au temps particulier, certaines des pièces œuvrent dans l’attente et la suspension. La forme minimale en équerre de la sculpture de Matt Calderwood est lestée de deux bidons d’eau qui la retiennent de s’effondrer vers l’avant. L’installation de Sébastien Maloberti (Sans Titre, 2010), faite de plaques de contreplaqués de récupération, répond formellement à ce jeu d’équilibre où, tel un caméléon, chaque morceau de bois s’assortit à l’eau contenue dans le gobelet qui y est fixé de manière instable.
D’autres œuvres fonctionnent sur un temps cyclique et perpétuel. Le rideau de Delphine Reist obstrue l’une des fenêtres. Le long du tissu, s’écoulent régulièrement des filées d’essence, récupérés par des bidons pour s’écouler à nouveau en circuit fermé. Sur un socle, repose un cendrier blanc. Au milieu des cendres, scintille indéfiniment une minuscule braise rouge, farce visuelle, intitulée avec cynisme Forever Young (2005) par l’artiste Ariel Schlesinger.
Les œuvres de l’exposition ont finalement de commun qu’elles empruntent au réel des objets et des mots, dont les assemblages minimalistes révèlent un pouvoir de suggestion certain. La phrase «Let us meet inside you» (2010) inscrite par Navid Nuur, apparaissant par transparence à l’arrière de la bonbonne d’un distributeur d’eau, n’est pas sans ambiguïté. Est-il question de la rencontre de l’œuvre avec le spectateur ? De l’invitation faite au visiteur de prendre part active à l’œuvre en se servant un verre d’eau ? Plus directement, les quelques mots tracés dans la Liste non-exhaustive (2009) de Thomas Bernardet - diamant, bagnole, peinture, une maison à 100 000 euros - évoquent un monde de luxe et de richesse, inversement proportionnel à la simplicité de l’énoncé de l’artiste. Dans un coin, l’installation discrète de David Beattie (Remote Past-Future, 2009), un morceau de contreplaqué en appui contre le mur cachant une diode rouge se réfléchissant sur un bout de papier aluminium froissé, élabore en trois touches un petit paysage énigmatique. C’est avec davantage de mystère encore que Marc Geneix élabore l’œuvre Finite Space (2010), une feuille de papier recouverte de graphite et froissée, évoquant toute la potentialité contenue dans une feuille vierge parcourue par un crayon à papier. Un champ des possibles où réside cette suspension même du sens et des choses.