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Après une première étape au Casino Luxembourg, le centre d'art de Vassivière accueille l'exposition « The Unmanned » de Giraud & Siboni, un ensemble de films récents qui adressent l'évolution des techniques au delà de la mesure humaine.

Giraud & Siboni — The Unmanned (L'inhabité)

par Barbara Sirieix

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En voiture, on traverse un paysage en courbe ; chaque virage amène à une nouvelle perspective sur la forêt, les escarpements et les plaines, cachés et dévoilés tour à tour par la brume. Les arbres dépouillés, brossés par les derniers bronzes de l’automne, se détachent par ondoiement de la bruine. Dans ce désert humide, le centre d’art de Vassivière point comme une incandescence grise sur les étendues d’eau et les prairies.
L’axe horizontal de la halle pointée vers le lac, surmonté par la tour à la dynamique d’un centre d’observation, pose le regard minéral d’une architecture, corps composite de matériaux reflétant le paysage. «The unmanned (l’inhabité)» est le titre de l’exposition actuelle de Fabien Giraud et Raphaël Siboni, et d’une nouvelle série de films dont le « pilote » ouvre dans le phare l’exposition, et qu’un autre épisode ferme dans le dernier corps du bâtiment. Il demeure tout au long comme une question en suspens posée à l’habitat, un écho résonnant dans le dialogue permanent entre les plans visibles, murs architecturés et cloisons réverbérant les images en mouvement.

Le dialogue entend une duplicité, et se construit dans l’exposition par le dédoublement du regard. Dans la halle, Bassae Bassae est le double de Bassae, un court métrage de Jean-Daniel Pollet réalisé en 1964. Giraud & Siboni sont retournés sur le site filmer le temple d’Apollon, perché dans les montagnes du Péloponnèse. Depuis plus de 30 ans en restauration, il est à présent recouvert de bâches et encastré dans une structure de protection antisismique. Du fait de l’état économique de la Grèce, le chantier est laissé à l’abandon et le dispositif tombe lui-même en ruines. L’essai poétique de Pollet conte le retour vers le minéral des colonnes, des éléments «tombés» et la fugacité du passage des dieux entre ces pierres. Initialement porté par la voix de Jean Negroni, le commentaire est relu par son fils à l’entrée de l’exposition, précédant les images. Repris plan par plan, le remake de Bassae ne présente pas le temps par l’érosion plus avancée de la pierre, mais par celle des produits du modernisme, présence sujette à l’entropie voilant les ruines. Dans cette salle blanche oblongue, le film transféré sur pellicule est projeté vers l’entrée, regardant vers l'arrière, comme détournant les yeux d’un fascinus voilé. Avec cette contraction temporelle, oscillant entre la perspective du paysage dans l’architecture et de l’architecture dans le paysage, le spectateur anticipe l’érosion de la structure sous arches où il se trouve, rêvant les yeux ouverts à une nef cistercienne.

La mesure minérale (2011), dans le sous-bassement bordé d’arcades en briques, amalgame en plan rapproché les minéraux du Musée National d’Histoire naturelle avec des vues de la galerie de minéralogie en cours de rénovation, dans une alternance de séquences filmées avec une caméra en super ralenti. Il est particulièrement difficile de les distinguer dans les premiers plans : les particules en suspension dans l’air sont comme des aspérités dans la roche, les surfaces sombres et luisantes des pierres renvoient au verre des vitrines et le reflet fantomatique d’une main se réfléchit sur une surface indéterminée. Les minéraux et leur dispositif de monstration se confondent dans la matière de l’image ralentie.
A l’étage, La mesure Louvre (2013) livre une évolution de travellings sur AGLAE, l’accélérateur de particules du musée du Louvre utilisé pour analyser la composition élémentaire des œuvres d’art. Les appendices interminables de cette machine sont filmés à une vitesse constante, jusqu’au point où l’image semble s’affranchir de la caméra et se générer de manière autonome, comme une impression. Au dernier plan, la caméra confronte le faisceau de l’accélérateur de particules et voit son image disparaître.
Cette série émane d’un protocole où chaque film définit un étalon de mesure différent pour déplacer le sujet dans le dispositif du cinéma et générer un autre regard. Un nouvel opus, La mesure végétale, était prévu pour l’exposition, filmé à la réserve mondiale de semences en Norvège. Région de grande biodiversité, le paysage appelle à sa mesure ; il ne manque ici qu’à la végétation de présenter son regard.

The unmanned est un terme utilisé dans l’ingénierie militaire pour désigner les drones. Il nomme une fiction à plusieurs entrées autour de deux personnages : Ray Kurzweil, informaticien et théoricien transhumaniste et Friedrich Kurzweil, père devenu fils, dans un récit à rebours de la technique. The Axiom (2014) en introduit le principe à l’entrée du centre d’art. Sur un écran cathodique, des plans microscopiques d’une lame découpant du métal, au son d’une voix d’enfant à la diction étrange réverbérée dans la tour, dévoilent un langage qui pourrait être celui d’une intelligence artificielle.
La dernière salle, au bout du pont de métal, lance dans l’obscurité un regard aveugle vers le barrage avec The death of Ray Kurzweil (2014), pour refermer ce qui a été ouvert dans le phare avec l’épisode 0, ou vice versa. Le film décrit l’errance des deux personnages dans une forêt tropicale et leur exécution de gestes simples, primaires à l’histoire de la technique : se vêtir, tisser des cordages, construire des outils avec des cailloux. Elle se déroule en 2045, à date de ce que Kurzweil prédit comme le moment de la singularité technologique, où l’intelligence artificielle sera si avancée que l’homme devra s’y adapter. Filmés par des drones, les plans répétés s’articulent au son des claquements de langue de l’enfant et du bourdonnement des cascades. Le film a une dimension parodique par les ressemblances avec le personnage réel et la transposition absurde d’éléments biographiques.

Alors que l’on quitte les lieux, l’axiome de l’inhabité se fait encore entendre et prolonge la fiction au delà du temps et de l’espace qu’on lui a donné. Le paysage d’hiver de Vassivière, où la présence humaine est rare, avec cette architecture singulière, ancre physiquement cette errance dans la perspective d’un monde où nous serions absents. Le double – d’un film, d’un musée de minéralogie, d’une machine, d’un personnage – déplace systématiquement la perspective du sujet, pour envisager un point de vue qui serait celui de l’autre – non pas du semblable mais du non humain.
L’exposition prend aussi la forme d’une sorte d’hommage à Jean-Daniel Pollet, au delà du double de Bassae : la réitération des séquences, les mouvements de caméra systématiques, le télescopage de machines, de paysages, de minéraux dans les films de Giraud & Siboni sonnent comme un écho au film Méditerranée (1963).




Fabien Giraud & Raphaël Siboni
« The Unmanned (l'inhabité) »
Centre international d'art et du paysage – Vassivière
16 novembre 2014 > 8 mars 2015

www.ciapiledevassiviere.com
www.theunmanned.com

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Fabien Giraud Raphaël Siboni Barbara Sirieix
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