Le musée de Rochechouart présente actuellement la première exposition monographique en France de l’artiste Laure Prouvost. Née en 1978 dans le petit village de Croix et résidant à Londres depuis ses 18 ans, elle remporte en 2013 le prix Turner. Malgré cette récompense prestigieuse, son travail reste encore relativement méconnu dans son pays natal, une lacune à laquelle cette exposition cherche à remédier par la présentation de trois ensembles de pièces: Wantee, œuvre emblématique de l’artiste, Visitor Center qui se conçoit en lien avec cette dernière, ainsi qu’une nouvelle production créée pour le musée de Rochechouart et intitulée The Smoking Image.
Le parcours d’exposition débute avec la pièce la plus ancienne, Wantee datant de 2013. On pénètre dans un espace confiné, saturé d’objets, de mobiliers, de vaisselles, de modestes peintures… Plongés dans la pénombre, les différents éléments présents dans la salle sont éclairés indépendamment les uns des autres ce qui confère à l’environnement une sensation de théâtralité. Autour d’une grande table en bois, une petite dizaine de chaises rafistolées sont mises à notre disposition. Durant 14 min, Laure Prouvost, en mode caméra embarquée, nous fait faire le tour du salon de ses grands-parents et en profite pour nous conter l’histoire de ces derniers. Elle nous explique patiemment que son grand-père, ancien artiste conceptuel et proche de Kurt Schwitters, s’est lancé il y a maintenant 20 ans dans la construction d’un tunnel, partant directement du salon, censé lui permettre de rejoindre l’Afrique. S’ensuivent la disparition du grand-père depuis 3 mois, les recherches menées pour le retrouver, des anecdotes sur sa grand-mère et son utilisation des sculptures de son mari et de Schwitters comme éléments de bricolage (cale-porte, chaise, porte-savon...). La tension de la vidéo repose sur un enchainement d’images au rythme soutenu et parfaitement maitrisé auquel l’artiste associe un fond musical, une voix off et la présence de textes qui ponctuent la vidéo et dynamisent l’ensemble. A travers ce système de synesthésie, Laure Prouvost parvient à jouer avec un panel très large d’émotions (joie, peur, mélancolie...).
Par un jeu de mise en abyme sur l’espace de l’habitat, celui filmé et celui de l’espace d’exposition, l’artiste réussit à animer les objets et leur pouvoir d’évocation. L’accumulation d’objets anecdotiques - animaux empaillés, service à thé, récipients de toutes sortes… - rappelle les intérieurs du XIXe siècle. Ces éléments forment alors une famille, celle de l’artiste, évoquent ceux qui ne sont pas là (les grands-parents) et reprennent vie lorsque nos yeux se posent sur eux ou lorsque des lèvres racontent leur parcours. Par l’excentricité de l’histoire que l’artiste nous offre, elle contribue à donner une aura étonnante à des objets simples rappelant combien la capacité d’émerveillement dépend de celle du conteur.
L’exposition se poursuit dans une seconde salle avec Visitor Center qui date de 2014 et prolonge le mythe familial instigué par l’artiste avec Wantee. Au centre de la pièce, se trouve la maquette d’un projet de musée dédié aux œuvres de son grand-père. Sorte de paquebot aux formes futuristes fabriqué à partir de matériaux de récupération type fil de fer, terre, bois et même d’un renard empaillé, le tout accompagné d’images explicatives, agit comme un clin d’œil drolatique aux architectures muséales de plus en plus alambiquées. L’artiste explique, par la présence de textes, l’importance de ce musée pour sa grand-mère et ses petits-enfants qui souhaitent rendre hommage à ce grand-père toujours porté disparu.
Par ce flux d’éléments disparates, d’images, de notices, de textes, elle consolide la chronique familiale, laissant la porte ouverte à la poursuite du récit.
Le parcours d’exposition s’achève sur une pièce créée spécialement pour l’occasion et intitulée The smoking Image. Cette œuvre, présentée dans le grenier du château qui prend alors l’allure d’une grange avec la présence de coquilles d’œuf, de plumes éparpillées au sol et de mobylettes est présentée en deux temps. Le premier est constitué d’une tapisserie de grande dimension réalisée à partir de collages de l’artiste qui retracent, telle une carte mentale, le chemin à parcourir entre Rochechouart et Los Angeles. Mélangeant un savoir-faire ancestral qu’est celui de la tapisserie ainsi que des éléments iconographiques classiques tels que les végétaux avec des éléments visuels éminemment contemporains (téléphones portables, visages d’adolescents, voitures...) Laure Prouvost créée un assemblage séduisant. Au dos de la tapisserie nous pouvons voir la vidéo réalisée par l’artiste dans le village de Rochechouart avec des adolescents de la région que nous suivons dans leurs réflexions. Durant un peu plus de 8 minutes, on assiste à une succession d’images et de sons qui viennent désorganiser la structure du récit pour mieux intensifier cette mise en évidence du passage de l’enfance à celui de l’âge adulte. Tous parlent de leur envie de liberté, de quitter la campagne afin de s’envoler vers «La ville» (ici Los Angeles). Des images de diverses sécrétions – lait, salive, blanc d’œuf - entrecoupent les plans telles des images subliminales. Pour toute personne ayant passé son adolescence à la campagne, cette vidéo est révélatrice de cette période de la vie à travers la question de la mobilité, du corps qui mue, des conversations alambiquées.
Laure Prouvost à une conscience aiguë de cette matière qu’est l’image et de sa capacité à invoquer, animer des désirs, des intentions. En mêlant finement une réflexion sur le visuel, le texte et le son, elle parvient à donner vie à des récits qui se jouent de toute volonté de délimitation, oscillant sans cesse entre fiction et réalité, entre fait et invention.