Tout d’abord le titre. « Non figuratif, un regain d'intérêt ? » est le nom de l’exposition qui s’est tenue au CAC Meymac du 10 juillet au 16 octobre dernier. Comme son nom l’indique, c’est un accrochage collectif présentant les peintures « non figuratives » d’une cinquantaine d’artistes internationaux. Les deux parties qui composent son intitulé ne manquent cependant pas d’intriguer et, en premier lieu, l’utilisation du terme « non figuratif », préféré volontairement à celui d’ « abstraction » pour qualifier la nature des peintures exposées ici. Au-delà de l’ambiguïté qui a toujours existé entre « non figuration » et « abstraction » en art, et la difficulté à clairement pouvoir les distinguer, rappelons que l’art « non figuratif » désigne un courant pictural précis apparu au milieu des années 1940 dans le sillage de l’Ecole de Paris. Jugeant que l’abstraction définissait de manière trop restrictive leur art, un groupe d’artistes emmenés notamment par Jean Bazaine, Alfred Manessier et Roger Bissière développe l’idée d’un art non figuratif garant d’un rapport nouveau au monde et à la nature. Selon eux, l’abstraction avait alors valeur de dogme dont la pratique était régie par un nombre de règles autant formelles (recours systématique à la géométrie) que théoriques (la peinture comme pure spéculation intellectuelle en somme) auxquelles ils refusaient donc de se soumettre. Non pas que l’utilisation de ce vocable « après-guerre » disqualifie d’emblée le propos de l’exposition, mais force est de constater qu’elle l’introduit d’une manière relativement déconcertante et qu’elle ne sert sans doute pas au mieux les artistes montrés ici. La seconde partie du titre, quant à elle, énonce l’hypothèse que les deux commissaires développeront tout au long de l’accrochage, celle-ci postulant, avec prudence (le point d’interrogation) et en s’ « appuyant sur des indices concordants mais fragiles », que la peinture non figurative (ou abstraite donc) retrouverait aujourd’hui un regain d’intérêt. Encore une fois, il est permis d’être quelque peu surpris d’apprendre que la peinture abstraite élaborée au cours de ces quarante dernières années1 n’a pas eu d’intérêt. La pensée des deux commissaires ne s’exprime peut-être pas en des termes aussi radicaux mais l’idée n’en reste pas moins la même et celle-ci paraît difficilement défendable2. Parions alors que l’idée de ce regain d’intérêt est double, qu’il contient à la fois un aspect « qualitatif » (contestable donc) mais aussi institutionnel. Alors ce n’est plus une hypothèse mais un constat (réel cette fois-ci) car il est vrai que depuis quelques années la peinture abstraite dans son expression la plus contemporaine a bénéficié d’expositions importantes dans de prestigieux musées3. De l’autre côté du spectre, le marché ne cesse de confirmer la bonne santé (financière mais pas uniquement) de la peinture abstraite dont la sur-représentation dans les galeries et stands de foires d’art contemporains s’accompagne également d’étranges phénomènes de « zombification »4.
Maintenant l’exposition. Pas de zombies ici mais un ensemble de tableaux dont la répartition sur l’ensemble des cinq niveaux de la belle Abbaye Saint André répond à autant de subdivisions thématiques, chaque étage s’adossant à un mouvement pictural précis ou du moins à un moment de l’histoire de l’abstraction au XXème siècle5. Par un principe de gradation temporelle à mesure que l’on s’élève dans le bâtiment, il en procède ainsi : constructivisme et géométrie ; abstraction lyrique, expressionnisme abstrait (pendant gestuel) et art informel, expressionnisme abstrait (versant Color Field) et minimalisme, postmodernité, le dernier étage opérant une forme de synthèse de l’exposition. Le parti-pris des commissaires participe évidemment d’un souci de pédagogie et de clarté qu’il convient de saluer, celui-ci s’avérant de plus judicieux par endroits. Néanmoins, de ce procédé découle naturellement un choix d’œuvres (à quelques exceptions près) n’offrant qu’un panorama très restreint de la peinture telle qu’elle se pratique aujourd’hui en omettant celle qui, précisément, ne rentre encore pas dans les cases traditionnelles. On peut également y observer une forme de prudence, celle-ci consistant à replier chaque production sur un modèle pré-existant : en somme, préférer s’appuyer sur des catégories établies et, d’une certaine manière rassurantes, plutôt que d’en inventer de nouvelles. Cette indexation produit en retour le risque, hélas fréquent, de l’illustration et une approche immanquablement réductrice de certaines pratiques en annihilant leurs spécificités propres. Il en va ainsi de l’abstraction trouvée de Francis Baudevin, des tableaux réflexifs et cosmiques de David Malek ou de la pratique programmatique et processuelle de Bernard Frize, chacune de ses œuvres se voyant comme vidée de sa substance théorique. Ainsi, en choisissant de n’exposer principalement que des peintures immédiates et laconiques6 ou en choisissant de ne pas faire parler les plus bavardes, l’exposition accomplit malencontreusement le programme annoncé par son titre en faisant sienne les conceptions quelques peu étriquées des membres de l’art non figuratif. Il n’en reste pas moins que soumettre une hypothèse au spectateur demeure l’une des belles conceptions du métier de commissaire d’expositions. Peu importe en réalité que l’on soit d’accord ou non.
Notes
- Le texte du journal de l’exposition arrête son histoire de l’abstraction au XXème siècle à Supports/Surfaces, laissant vraisemblablement penser que rien d’important n’est advenu dans le champ de la peinture abstraite entre la dissolution du groupe et aujourd’hui.
- Plutôt que de se prêter au jeu fastidieux de la liste, mentionnons la somme écrite par le célèbre critique d’art et commissaire d’exposition Bob Nickas Painting Abstraction: New Elements in Abstract Painting (Phaidon, 2009). Si l’exposition semble ici d’une certaine manière encore douter de la légitimité de la peinture abstraite contemporaine, le travail de Nickas lui oppose une forme de croyance inébranlable ainsi qu’une connaissance approfondie faisant de lui l’un des ses plus ardents et brillants spécialiste
- Parmi celles-ci citons l’une des dernières et plus importantes : « The Forever Now: Contemporary Painting in an Atemporal World » tenue au MoMA de New York en 2015.
- Selon l’expression de « zombie formalism » formulée par le critique américain Walter Robinson (http://www.artspace.com/magazine/contributors/see_here/the_rise_of_zombie_formalism-52184). Idée reprise et développée par son confrère Jerry Saltz qui, sans toutefois la répudier totalement, déplore l’uniformisation de cette nouvelle abstraction decorator-friendly et faussement cérébrale (http://www.vulture.com/2014/06/why-new-abstract-paintings-look-the-same.html)
- Une idée en réalité pas si lointaine de celle que développait l’exposition, discutée, du MoMa sous le terme d’ « atemporalité ».
- Le journal de l’exposition en parlant du plasticien d’aujourd’hui : « Il vise à retrouver les modalités d’une proposition essentielle, débarrassée des figures et de leurs connotations bavardes qui embourbent notre sensibilité, un jeu de sensations premières déconnectées de références ou de préoccupations immédiates, entre réaction sensible et jouissance intellectuelle. »