Présentée au Centre d'art contemporain La Halle des Bouchers de Vienne, l'exposition « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux » s'appuie sur les négligences, les faux-pas et les errances en relayant une notion de sérendipité. Celle-ci désigne la faculté de faire une découverte de manière fortuite tout en œuvrant initialement dans une direction autre. En faisant valoir des œuvres diversifiées au niveau des pratiques, il s'agit pour les commissaires Marianne Derrien et Sarah Ilher-Meyer de partir d'une trame conceptuelle afin d'en prolonger les implications, mais aussi de montrer qu'une notion d'erreur, loin d'agir en tant que faute ou manquement, possède une réelle légitimité. L'erreur, en cela, se distinguerait de celle entrevue dans le cadre d'un apprentissage, car on ne lui donnerait alors qu'une valeur transitoire, au lieu de lui accorder la possibilité d'être une fin en soi. Bien davantage, en intégrant les ratages et les maladresses dans les différentes phases d'une recherche, c'est la nature du processus créatif qui est interrogée.
Aussi, bien que la notion d'erreur décrive un motif relativement difficile à circonscrire d'un point de vue plastique, les commissaires parviennent à s'affranchir d'une dimension illustrative en proposant différentes facettes d'un même problème tout en esquissant des trames particulièrement cohérentes d'une œuvre à l'autre. Il reste que la pièce de Simon Nicaise, présentée en amont dans le parcours de l'exposition, possède une forme d'exemplarité dans sa capacité à synthétiser de façon relativement limpide une notion qui semble contenir en elle-même les outils de sa contradiction. Un peu à la manière d'un concept de négation qu'il s'agirait d'exemplifier, l’œuvre intitulée (50+ 8ln(x)x6,5) 13n/(V5+7yn) = 0² met en avant un compas que l'on suppose naturellement destiné à tracer des cercles, mais qui en réalité figure un carré inachevé. Est ainsi mise en lumière une rencontre impossible du point de vue de la logique, ce qui défie par la même occasion notre esprit de rationalité et la conception que l'on peut se faire de l'exactitude algébrique, comme le certifie l'équation invraisemblable qui tient lieu de titre. Dans le cas présent, l'erreur intervient de manière à investir une consistance singulière, ne serait-ce que parce qu'elle semble matérialisée de façon plastique, mais aussi parce que le propre d'une équation que l'on aspire à résoudre est de montrer qu'une égalité est vraie. Autrement dit, avec la rigueur d'une démonstration mathématique, l’œuvre nous dit que l'erreur ne serait plus une erreur, mais un autre type de vérité.
D'autres travaux s'appliquent à retranscrire le caractère inévitable et nécessaire de l'erreur, notamment en introduisant une logique de la contrainte généralement synonyme d'obstacle. Celle-ci permet tout compte fait de détourner l'évidence d'une trame narrative ou d'un résultat afin de provoquer des conjonctures inattendues. La vidéo-performance Geranos de Gregory Buchert, par exemple, le montre en situation d'étourdissement. Déséquilibrant son oreille interne de façon à reproduire une danse d'origine antique, il parvient à une chorégraphie hasardeuse et non dénuée d'humour, la contrainte agissant ici comme principe créatif tout en étant corrélée à une idée de l'absence de maîtrise, ce qui est peut-être un paradoxe en soi. De là également la proposition d'Ahram Lee qui consiste en une dérive urbaine suppléée par un livret, lequel relate, au gré des détours et des cheminements, l'ensemble des caractères typologiques rencontrés, comme pour signifier la nécessité de compenser le caractère normatif des dispositifs de langage par des interventions faisant la part belle aux aléas et aux circonstances.
Cette dernière proposition, par ailleurs, laisse augurer du potentiel critique de travaux s'attachant à détourer une modernité technique qui se signalerait par sa rigidité processuelle, son caractère mécanique et chiffré, ainsi que son obsession pour le résultat. C'est précisément dans cette perspective que s'inscrit Xavier Antin, lui qui recompose des imprimantes à jet d'encre en leur incorporant des erreurs et une part de hasard. En montrant des plaques métalliques retraçant des impressions distraites par une intervention humaine, il s'agit de contourner la domination de la nature par la technique, et donc de déjouer une modernité dévolue à une certaine forme de perfection.
De façon globale, le projet qui consiste à redonner une forme de crédit à l'erreur en tant que principe créateur est bien orchestré par les deux commissaires, notamment parce que les différentes perspectives relatent un éclectisme que l'on ne soupçonnait pas forcément. Surtout, les œuvres parviennent à réfracter une grande sagacité sans pour autant que ne soit mise sur la touche une dimension quelque peu jubilatoire, à l'image par exemple des compositions protéiformes de Gabriel Méo faites de matériaux récupérés et de ratages assumés, lesquelles nous rappellent s'il le faut qu'il y a quelque contentement dans le fait de créer en se délestant de toute entrave.