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Entrer dans l’œuvre : actions et processus dans l’Arte Povera

par Angelo Careri

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« Entrer dans l’œuvre » : c’est ce que nous propose l’exposition du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne consacrée à l’Arte Povera. Un titre qui souligne la volonté de mettre en avant certains aspects méconnus du mouvement : la théâtralité, le processus collectif, l’interactivité. À cet égard, le travail du commissaire Alexandre Quoi se fait l’écho de l’exposition liminaire « Arte Povera + Azioni Povere » (« Art Pauvre + Actions Pauvres »), organisée en 1968 par le critique d’art Germano Celant, premier théoricien du mouvement. Un retour aux sources qui se révèle en fait une proposition assez originale, tant le travail des têtes d’affiches associées à l’Arte Povera (Jannis Kounellis, Giuseppe Penone, Mario Merz, entre autres) renvoie, dans l’esprit du public, à une esthétique de la matière brute, inanimée, plutôt qu’à des œuvres incarnées et en mouvement. Or, ici, c’est bien l’aspect performatif et collaboratif qui est mis à l’honneur.

 

De ce point de vue, l’exposition est une réussite : dès la première salle, l’accrochage, qui associe des documents photographiques avec des pièces ludiques, voire malicieuses, surprend. En guise de préambule au parcours proposé, quatorze portraits photographiques, qui correspondent aux artistes exposés (dont une seule femme, Marisa Merz). Autant de mises en scène de soi très théâtrales qui démontrent que ce mouvement, que l’on a parfois résumé un peu hâtivement à un certain nombre de principes (nature, abstraction), a en fait de nombreuses connivences avec les arts de la scène, voire, de façon plus inattendue, avec le design graphique. En témoigne la salle consacrée au Piper Pluriclub, une discothèque turinoise ayant accueilli de nombreuses performances, un lieu exubérant à mille lieues des espaces dénudés et modestes associés au mouvement dans l’imaginaire collectif : on y trouve des photographies, des affiches et même des costumes. Parmi les œuvres représentatives de l’exposition, on notera, entre autres, Vers à soie (1968) de Pino Pascali, où des brosses en plastique multicolores forment un vers géant – une pièce réjouissante et presque pop – ou Mettre au monde le monde (1973), deux grands dessins d’Alighiero Boetti, qui se présentent comme un code secret à déchiffrer à l’aide d’un alphabet, dont la solution est pourtant déjà donnée par le titre. Là aussi, il s’agit de dispositifs ouverts, qui nous poussent à jouer le jeu, et l’on se situe loin de l’idée de dénuement qui se dégage de l’adjectif « pauvre ».

 

Globalement, les œuvres sont ici bien choisies et bien montrées. Quand c’est possible, tout du moins : deux pièces de Jannis Kounellis – des photographies qui documentent une installation ayant fait appel à des chevaux vivants (Dodici cavalli vivi, 1969) et un tableau qui doit être activé par un musicien et une danseuse (Da inventare sul posto, 1972) – révèlent un contexte, mais ne peuvent pas ici être véritablement appréhendées comme des expériences. C’est le parti-pris de l’exposition, qui fait le choix, dans sa première moitié, d’aller au plus près de l’instant historique et de son caractère nécessairement éclaté, confus et, bien souvent, étonnant. Les documents, soigneusement sélectionnés et présentés dans des caissons en verre, ont donc la part belle. On reste plus dubitatif en revanche face à la deuxième partie du parcours, composée de deux sections intitulées « Actions » et « Entrer dans l’œuvre ». Ici, tout l’appareillage documentaire disparaît pour laisser la place à des œuvres que le public peut activer : cubes en toiles de Luciano Fabro, sous lesquels on peut se glisser, microphones qui pendouillent de Gilberto Zorio, avec lesquels on peut chanter en chœur, etc. Là où la première moitié de l’exposition nous révélait l’univers complexe de l’art italien des années soixante et soixante-dix – un milieu en pleine ébullition, friand d’expérimentations en tout genre – la seconde revient paradoxalement à une scénographie trop classique et peut-être un peu froide. Quelques œuvres d’artistes « étrangers » (non italiens) forment également une annexe qui est mal reliée à l’ensemble, et donc dispensable.

 

Ce hiatus a le mérite d’être assumé, mais il me semble être en contradiction avec le pari originel et audacieux de l’exposition, qui était de se situer du côté de la complexité et de la contextualisation. On retiendra cependant la générosité et la précision historique qui caractérise un ensemble en partie élaboré à partir d’un commissariat original de Christiane Meyer-Stoll pour le Kunstmuseum Liechtenstein. Parce qu’elle est fidèle à son parti pris, qui est de renouveler la lecture d’un mouvement pourtant déjà canonisé, on ne peut que conseiller « Entrare nell’opera – Entrer dans l’œuvre ». De la même façon que l’on recommandera le catalogue édité pour l’occasion, une véritable mine d’informations de près de six-cents pages qui prolonge l’exposition et qui s’imposera certainement comme un outil indispensable pour les chercheurs.




« Entrer dans l’œuvre : actions et processus dans l’Arte Povera »

Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Eliseo Mattiacci, Mario Merz, Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Emilio Prini, Gilberto Zorio

Commissaire de l’exposition : Alexandre Quoi

Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne, du 30 novembre 2019 au 3 mai 2020.

mamc.saint-etienne.fr




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