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Habit(ée) Alger

par Amina Menia

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« Alger n’a eu de cesse de se métamorphoser à travers les siècles :
berbère, phénicienne, romaine, arabe, andalouse, ottomane, française.
Elle aura connu et assimilé tous les styles.
Elle bouge, elle se rebiffe, elle s’ébroue comme une bête de béton.
Elle s’écaille comme un reptile urbain en changeant de peau. »

Extrait d’Un Album de famille bien particulier, Amina Menia, 2012

 

Alger.
Ma ville.
Ma ville biologique.
Ma ville de cœur et d’élection.
Je suis Algéroise avant d’être artiste
Étymologiquement, son nom arabe, El Djazaïr, signifie « les îles ».
Ville-archipel donc, à l’architecture plurielle. Aux multiples (infinies) strates.
Un peu comme ma pratique qui s’attache justement à conjuguer différentes strates, différents médiums, différents langages...
Toutes mes œuvres convergent vers ce nom.
Cette ville m’habite plus que je ne l’habite.
Une ville si dure à vivre et pourtant...
Je ne sais pas ce que je serais, (je ne saurai jamais) quelle sorte d’artiste j’aurais été sans elle.

Vivre à Alger.
Je suis coupée du monde de l’art, des événements internationaux.
Comment alors s’enrichir, se comparer, se renouveler.
La ville a beau jeter ses pieds dans l’eau, elle est, force est de l’avouer, un désert culturel.
Je questionne tous les jours mon processus créatif. Je travaille dans la solitude.
Sans écho.
Et je n’ai pas de sanctuaire. La vie est trop chère pour pouvoir se payer un atelier.
La ville sera mon atelier !
À un moment donné, j’ai décidé : les obstacles, je les sublime au lieu de les subir.
Pour le reste, je fais avec.

Je crois que c’est un peu ça…
Alger est donc cette constellation (oui, un archipel) ; de vies, d’images, de sons, de mots,
d’idées, de brouhahas sourds…
Vivre à Alger ? Un enfer !
Un enfer avec vue sur paradis !

Travailler à Alger ?
Un combat.
Mais un combat exaltant.

Être artiste à Alger ?
Sisyphe vertigineux
Cette ville qui vous donne tout, et qui vous prend beaucoup
Se réinventer tous les jours, tout recommencer, se transcender
Remonter les doutes comme les réalités
Hésiter, douter, ne plus savoir pourquoi on le fait
Être envahie de questions lancinantes, inutiles,
devoir se justifier
La vie n’est pas normale, rien n’est simple, les promesses non tenues,
les lendemains difficiles, le manque d’assurance dans le futur, les horizons indépassables…
Mais il y a tellement de beauté autour, tellement de raisons d’espérer, une espérance tenace, parfois ténue, des sourires volatiles, et ce sentiment souverain que tout est possible qui vous fait encore vous accrocher
Alger, chant des possibles désaccordés,
des altérités insulaires.

Et l’espace public.
Ma quête de toujours.
Cette ouverture improbable au milieu des agoras encerclées.
Mon engagement silencieux.
Car aller vers le public, m’engager dans l’espace public, c’est ma foi…
Au cœur de ma pratique
Une vieille quête.
Alors oui, j’ai confondu ma vie et mon travail ; j’ai sublimé – je l’ai dit – les difficultés
et j’en ai fait une méthode. Catharsis.
J’ai assumé les contraintes et je les ai intégrées
à mes pièces ; j’en ai fait une œuvre.
Elles ont laissé des traces. Des strates striées.
Car j’ai décidé, oui : les obstacles, je les fais désir au lieu de les subir.
C’est Alger qui sera mon atelier !

Mes sujets de prédilection ? Je me passionne pour l’histoire et pour l’architecture.
Je suis un animal urbain. J’aime la ville en ce qu’elle porte de contradictions et de paradoxes. Et j’aime l’architecture en ce qu’elle me permet de sonder et comprendre
ma société.
Je puise en elle mon répertoire de signes, mon alphabet visuel ; je cherche dans d’autres langages, j’emprunte à d’autres disciplines.
Je suis tour à tour architecte, archéologue de l’urbain, anthropologue du contemporain, sociologue des arts solitaires, sculptrice de l’éphémère…
À bien y regarder, mon travail ressemble à cette ville ; les fragments reliés, les îles assemblées, l’éternelle reconstruction…

Ville Mosaïque : je fais de l’écriture par fragments

Ville Archipel :  je suis toujours dans le rassemblement, la restitution

Ville Palimpseste : je choisis l’écriture par l’accumulation, mais aussi par l’effacement

Emmener Alger avec moi !
À Marseille, Dublin ou Folkestone, Alger est partout avec moi.
Comme emporter un fragment d’immeuble Pouillon l’Algérois à Marseille,
Ou vouloir décoloniser un bout de paysage irlandais ; Alger/Dublin même combat !Ou revisiter l’art du monument à Folkestone (GB)
Alger est toujours là. En résonance, en parallèle, en opposition…
Et tout prochainement : emmener un « fragment de paysage » au Mucem.    

Au fil des années, je me suis rendu compte que je ressemblais de plus en plus à Alger.
Cette écriture-palimpseste ; fragments, strates, effondrements, effacements…
Alger, je la traverse, tout en étant traversée par elle.

Puzzle

Universalité

Ville Mosaïque

Ville Archipel

Fragments d’histoires

Récits éparpillés sur les quais

Sève des siècles

Ville Palimpseste

Narrations contre-coloniales

Temps décolonial

Liberté

Alger
Atelier à ciel ouvert
Théâtre du conflit et du désir
Et des vents contraires qui m’aident à avancer, à m’accrocher, agir, réaliser, transformer, vivre,

Qu’est-ce être artiste à Alger ?
Une artiste algéroise ?
J’aime bien cette confusion,
Ce n’est point une question de géographie, mais d’histoire.
Je me sens appartenir à l’histoire de cette ville plus qu’à son territoire.
Je me suis abreuvée à l’histoire de ma ville, de mon pays, et j’ai travaillé par cycles et par boucles du temps.
Et tout naturellement, je me suis laissée attirer par l’histoire de l’art algérien, ouvrant ainsi un nouveau chapitre dans ma pratique.
Avec toujours le même amour pour Alger, ses murs, ses faubourgs…
les histoires de l’art étant toujours plus belles que les histoires d’amour.







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