Début décembre, Thiers. Devant l’Usine du May, bruit assourdissant de cascade.
Formée aux arts plastiques, au chant et à la composition électro-acoustique, Anna Holveck entonne l’amour à la Demy tout en ouvrant (fade in) et fermant (fade out) une porte, susurre une mélodie dans une bouche d’égout ou demande à un groupe de générer un drone en reproduisant différentes tonalités de frigidaires. Sensible aux phénomènes vibratoires, elle accorde, dans ses (vidéo)performances et œuvres sonores, une place centrale au corps et à la voix en tant qu’instrument résonnant et vecteur de communication. L’organique comme organum.
« Des fourmis aux lèvres » est sa première exposition personnelle.
Images flottant dans l’espace. Écran 1 : un homme, chemise jaune, béret noir, est assis dans l’herbe, un bâton à la main. Devant lui, un script. Tout autour, les Pyrénées. En contrebas, un chemin – ligne de fuite. Écran 2 : un second bout de montagne. À l’horizon, un minuscule point révèle bientôt une silhouette humaine, qui se fait plus distincte à mesure qu’elle approche. Les deux personnages finissent par se rejoindre dans le même plan. De l’autre côté, le bruit blanc des grillons. Dans l’intervalle et malgré l’espace qui les sépare, ils ne cessent d’entretenir une discussion. Sans cris ni 5G – zone blanche.
Théo Peyrusque et Bernard Miqueu sont parmi les dernier·ère·s dans la région à maîtriser le langage sifflé. En vigueur dans différents endroits du globe, cette pratique est indexée sur une langue locale (le béarnais, dans notre cas) et un territoire contraignant les déplacements. Les berger·ère·s des Pyrénées l’utilisent pour se parler d’un pâturage à l’autre, jouant avec l’écho de la montagne pour se faire entendre sur plusieurs kilomètres.
Performance buccale et sonore, le sifflement pourrait être ici envisagé, au même titre que la voix chantée ou parlée, sous l’angle de l’oralité. Il dessine plus précisément une oralité médiatisée, amplifiée par l’usage des doigts qui permet au souffle et au message qu’il véhicule de dépasser, de déplacer, les limites visuelles et acoustiques du corps. Un tel dispositif de discours, dans lequel le langage ne cesse d’être investi par la musicalité, rappelle de manière frappante la nature relationnelle du son.
Dans le dialogue écrit par Anna Holveck, il s’agit principalement pour les deux hommes de se localiser et d’effectuer une reconnaissance de terrain. La séquence laisse filtrer un humour absurde et renvoie un écho ironique au « t’es où ? » généralisé par la téléphonie mobile. Mais elle traduit avant tout les réalités d’usage d’un langage dans lequel se cristallise l’expérience individuelle et sociale d’un milieu spécifique.
Sur le Pont de l’épée, on va et vient. Pull rouge. Pêche sonore dans le ventre de la cascade. Bruits gastriques ? Tout paraît curieusement artificiel.
Dans cette vidéo-performance, Anna Holveck filme un enregistrement. Elle sonde les courants de la rivière à l’aide d’un hydrophone, rendant ainsi audible l’inaudible. L’écoute est affaire d’attention. Elle révèle une réalité enfouie et permet de s’approprier un espace. On pense à John Travolta et la scène de field recording dans Blow Out de De Palma, mais surtout à R. Murray Schafer et ses acolytes du World Soundscape Project partant à la découverte de nos paysages sonores. Un décalage persiste : l’événement sonore est suspendu lorsque le micro sort de l’eau. L’image continue à défiler, muette.
Une pelote d’écouteurs diffuse des chansons contenant le mot river réinterprétées par les proches de l’artiste. Comment se relier au son, se lier avec le son ? semble s’interroger Anna Holveck. L’écoute se fait tour à tour intime et collective.
Rideau découpé. Fin de boucle. Une fenêtre ouverte pendant deux minutes. Le son de la cascade emplit l’espace. Percée du réel.
Dans l’orchestration subtile que constitue la combinaison sonore de ces différentes pièces, l’artiste ne manque pas de ménager sa place à la vaste composition du monde.
Née en 1993 à Toulouse, Anna Holveck vit et travaille à Paris. Elle a obtenu son DNSEP à l’ENSBA (École nationale supérieure des beaux-arts) de Lyon en 2017. Anna Holveck a également une formation de chant lyrique/expérimental et de composition électro-acoustique.
Dès 2015, elle a réalisé différents workshops, ainsi que de nombreuses performances et interventions publiques, par exemple aux Subsistances, Lyon (2016, 2017), à l’ENSBA de Bourges (2016), au Palais de Tokyo, Paris (2016), à l’ENS Lyon (2017, 2018) ou au Centre Pompidou, Paris (2017, 2020). Ses pièces sonores sont régulièrement diffusées sur *DUUU Radio (À son muet, 2018 ; I will make it, Flûtées, 2019). Depuis 2017, Anna Holveck a participé à plusieurs expositions collectives, comme « Les Enfants du Sabbat » au Creux de l’enfer, Thiers (2018) ou « Survivre ne suffit pas » au FRAC Franche-Comté, Besançon (2019).