On se souvient de Martin Kippenberger (Dortmund, 1953 – Vienne, 1997) pour son humour et son irrévérence. Sa devise : «Jeder Künstler ist ein Mensch»1, détourne la célèbre maxime de Joseph Beuys «Jeder Mensch ist ein Künstler»2. Par un renversement de sens, la citation s’emploie ici pour attaquer le cliché du génie créateur.
Au début des années 1980, l’ironie de Kippi et ses amis de Düsseldorf (Werner Büttner et les frères Oehlen) s’oppose alors au sérieux du Neue Wilde Kunst. Les Nouveaux Fauves berlinois prônent un retour à l’expressionnisme en peinture et à l’héroïsation de l’auteur. Animé d’un esprit ludique et iconoclaste, le jeune Kippenberger parodie les maîtres du XXe siècle. En 1985, une photographie de Douglas Duncan3 illustre les cartons d’invitation d’une exposition4 de l’artiste allemand. Sur cette image, Pablo Picasso pose simplement vêtu d’un slip kangourou élégamment remonté jusqu’au nombril. Trois ans plus tard, Kippi adopte la même allure dans une série d’autoportraits plutôt dévalorisants. En 1996, l’auteur des Demoiselles est à nouveau évoqué dans la série Jacqueline, The Paintings Pablo Couldn’t Paint Anymore. Kippenberger se permet ici de parachever la série des portraits de Jacqueline Roque entamée presque cinquante ans plus tôt par Picasso. La même année, la silhouette de Matisse apparait au milieu d’une farandole d’hommes-araignées. Reprenant la composition de La Danse de 19095, l’affiche de l’exposition Kippenberger chez Soardi6 prouve que le sens du rythme des superhéros égale les chefs-d’œuvre de l’Hermitage.
Avec provocation, Kippi fit de l’idiotie une posture lui permettant de rompre avec l’héroïsme des grands maitres. Matisse et Picasso ainsi parodiés, c’est la rencontre du slip kangourou et de l’homme-araignée, une danse qui rappelle la Ronde des pochards dans le brouillard d’Alphonse Allais7. Cet état d’esprit hérité des Arts incohérents, de Dada, de Picabia et de Duchamp permit à l’enfant terrible de l’art allemand de célébrer «dans la bonne humeur»8, la fin de l’aventure moderne.
Notes
- «Tout artiste est un homme», Martin Kippenberger im Interview mit Rosemarie Trockel, 1993.
- «Tout homme est artiste», Joseph Beuys im Interview mit Peter Brügge, "Die Mysterien finden im Hauptbahnhof statt", Der Spiegel, 04.06.1984.
- David Douglas Duncan, Portrait de Pablo Picasso avec son chien Kazbek, photographie argentique, couleur, 1962.
- Martin Kippenberger, Podría prestarte algo, pero eso no te haría ningún favor, Galería Leyendecker, Santa Cruz de Tenerife, 1985.
- Kippenberger reprend la structure de la Danse de 1909 – 1910 commandée par le collectionneur russe Chtchoukine (Musée de l’Hermitage, St Pétersbourg) pour l’affiche de l’exposition niçoise.
- La galerie Soardi à Nice est connue pour être l’atelier dans lequel Matisse réalisa les trois versions de La Danse dite de Mérion (1933) commandée par le collectionneur américain Albert Barnes en 1930 (Fondation Barnes, Philadelphie).
- Alphonse Allais, Ronde des pochards dans le Brouillard (monochrome gris), in. Album primo-avrilesque, Paris, 1897.
- L’artiste souhaitait que l’on retienne que «Kippenberger, c’était la bonne humeur !», in. «Bon art, intensité et bonne humeur – conversation avec Jutta Koether», (Gute Kunst, Intensität und gute Laune – Gespräch mit Jutta Koether) in. Kippenberger sans peine, Éditions du Mamco, Genève, 1997 (pp. 43 – 81).