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Sensorialités excentriques

par Estelle Nabeyrat

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Le Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart présente, depuis cet été, une exposition conçue à partir d'un fonds unique de l'œuvre de Raoul Hausmann qui y est soigneusement conservé. C'est que l'artiste «dadasophe» (comme il aimait à se définir), ce même qui naquit en 1886 à Vienne puis grandit à Berlin, séjourna les dernières années de sa vie dans la région limousine, région qui l’éloigna, vers les années 40, de la montée du nazisme outre-Rhin et qui lui rend à nouveau hommage aujourd'hui.

Il fut l’une des figures du mouvement Dada dans l’Allemagne d’après-guerre et, la contestation des valeurs bourgeoises, qui en fut l’un des fondements, sera chez Hausmann un principe de vie toujours revendiqué. Atteint d'une cécité progressive, il entreprend  de longues recherches sur l’élaboration d’un nouveau langage visuel. Ses expérimentations sur la convergence des sens aboutissent à la publication d'un ouvrage éponyme : sensorialités excentriques, publié par Henri Chopin en 1969. Hausmann s’intéresse à un art pouvant dépasser les cinq sens, il théorise sa conception d'une œuvre d'art «excentrique», soucieuse de sa réception autant que de sa transmission : «...cela signifie le dépassement et l'élargissement de toutes les facultés cellulaires, nerveuses, «aperceptionnelles»». Pour Hausmann, le projet ne se limite pas aux seuls contours de l'art, il revendique des intentions d'ordre politique dont le fondement repose sur une critique profonde de la pensée occidentale. Une pensée «conservatrice et sédentaire» à laquelle la conscience de l'homme se devait d’être éveillée.

Ses premières expérimentations se manifestent tout d'abord à travers ses dessins mais aussi ses photomontages, à une autre époque ; procédé dont on lui reconnait la paternité. Hausmann cherche une potentielle extension de sa vue et produit croquis, poèmes et autres textes qu'il n'aura de cesse d’explorer. Une pluralité de médiums dont il usera depuis ses premiers pas dans le collectif Dada jusqu'à ses relations plus tardives avec les avant-gardes Fluxus et l’International situationniste.

La première salle de l'exposition est une introspection dans un travail foisonnant qui a toujours fait coexister recherches plastiques et écriture, idées et matière. Réclamant «une civilisation nouvelle ! D'urgence !», les exhortations de Haussman ne prétendent pas être à la source d'une contagion du monde artistique. L’exposition préfère prendre le parti des filiations plus subtiles avec un ensemble de pièces non illustratives mais liées par une forme de survivance de préoccupations conjointes.

Du psychédélisme des années 1960-représenté par une série d'affiches au caractère subversif de Sture Johannsson ou encore par l'hypnotique film T.O.U.C.H.I.N.G de Paul Sharrits- jusqu’à nos jours, le musée offre un parcours subjectif et sensible d’œuvres, contemporaines du travail d’Hausmann. Dans sa vidéo Two Times 4’33’’, Manon de Boer nous propose d’écouter le silence d’une partition composée par John Cage en 1951 et nous invite ainsi à une lente introspection sensorielle. Juste à côté, Line describing a cone d’Anthony Mc Call plonge le spectateur dans une matière lumineuse pénétrable et fait ainsi écho aux recherches que Hausmann a pu entreprendre sur la synesthésie. Le film d’Ivan Cardoso sur l’œuvre en grande partie disparu, du brésilien Helio Oiticica, est une occasion rare de se frotter au « supra sensoriel », dont le corps sert d’extension. Et Marcel Broodthaers, plus loin, tente d’engager une conversation sur l’art moderne avec un chat. L’absurdité de l’entreprise fait résonance aux balbutiements des poèmes phonétiques de Hausmann et fait état d’une volonté partagée par beaucoup d’artistes de dépasser le cadre strict de la relation à l’objet, d’une croyance cantonnée au visible. Un questionnement sans cesse réactualisé à une époque où un écart se creuse toujours plus distinctement entre une production directement commercialisable et un art qui, notamment à travers le retour de la performance, s’échappe du cercle conventionné des arts plastiques.




« Sensorialités excentriques »
Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart
3 Juillet < 18 Octobre 2010

www.musee-rochechouart.com

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Estelle Nabeyrat
—» Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart - Rochechouart



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