Imaginée par Isabelle Le Normand et Florence Ostende, l’exposition fédère vingt quatre artistes autour d’un sentiment partagé d’admiration. Le projet est porté par cette forme d’émulation intellectuelle, la transmission enthousiaste de références et de modèles qui les ont fait vibrer et grandir. Les artistes choisis ont d’ailleurs été invités à convier une personne qu’ils admirent à se joindre au projet. Une façon d’ajouter un tropisme affectif, quasi biographique, à la pratique de la citation et du détournement.
L’admiration, une dynamique de transmission.
Charlotte Moth et Peter Filingham partagent leur «Bibliothèque» avec le visiteur. Sur des tables, des piles de magazines d’art, de catalogues d’expo et de romans, mais aussi des cartes de villes étrangères, des dictionnaires bilingues et des guides de voyage éveillent sa curiosité. Fixée à la cimaise et surplombant les livres, une chaise en bois réalisée par Richard Wentworth réinvestit A Cast of the Space Under my Chair réalisée par Bruce Nauman, un des artistes qu’il admire le plus. L’espace décrit dans le titre a été moulé dans du ciment par Nauman pour conjurer l’ennui, un sentiment de vacuité opposé à l’admiration qui «remplit.» En un acte relevant plus de l’imitation que de la copie, Wentworth comble ce même espace de la chaise avec des lattes en bois. Connu pour sa série de pièces Témoin, Benoît Broisat expose les clichés réalisés par le photographe iranien Amir Sadeghi lors du soulèvement populaire, ou «Green Movement» contestant l’accès au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad. Publiés sur son blog, ces témoignages, précieux pour la presse internationale, transposés dans l’espace de la galerie font l’objet d’une réévaluation admirative. Ivan Argote a quant à lui offert sa bourse à Jennifer Dujardin, lauréate du «prix Ivan Argote» destiné aux étudiant de l’École des Beaux Arts de Bourges. Le titre choisi pour la pièce qu’elle expose est éloquent : «merci de m’avoir regardé».
Une «discipline de dévot»
Jérôme Poret recouvre un mur de posters représentant des scènes de stage diving. Une pratique qui consiste à se jeter de tout son corps sur les bras d’un public électrisé par les décibels d’un concert de rock : Montée collective d’adrénaline et communion extatique des corps caractérisent cette grande messe profane. Le South Monument for Douk Douk And Attirance que David Evrard a conçu avec son invité complice, Jaro Straub, est un assemblage d’objets hétéroclite réalisé à quatre mains au fil d’échanges postaux. Témoin de cette collaboration à distance, un tube d’expédition recouvert d’étiquettes autocollantes d’envoi est l’axe central de ce «monument» à la structure de tipi, où les objets se sont agrégés comme sur un aimant : figurines en plastique, pièce jaune, roman... Cet étrange totem catalyse l’imaginaire par ses références iconographiques à l’univers de la croyance et de l’enfance, des héros de western et des explorateurs. En une esthétique qui oscille entre l’autel de dévotion mexicain et la déco d’une chambre d’adolescent, Thomas Hirschorn dispose sur des étagères une série d’objets arborant le visage du célèbre mannequin Kate Moss, découpé dans des magazines. Une grosse peluche de fête foraine, des nounours, des canettes de bière et de coca cola servent de support à son image et à des déclarations d’amour écrites à la main. Autre objet cultuel, le trophée que réalise Asli Cavusoglu pour marquer l’accomplissement de son voyage initiatique en Patagonie, sur les pas de l’écrivain britannique Bruce Chatwin. Dominique Gilliot et Maeva Cunci ont aussi imaginé un trophée de chasse conforme en tout point aux canons du genre sauf que la tête de chevreuil a été recouverte d’un masque de catcheur. Le brame déchirant de l’animal les a conduit à en faire le symbole des stars, christiques et ténébreuses, notamment Jim Morrison, qui ont hanté leur adolescence. En prolongement de la pièce, une phrase est écrite sur la cimaise, extraite du livre Enfance, de l’écrivain russe Maxime Gorki. Elle poursuit cette idée d’une révélation intime proche du sublime : «alors commença une vie intense, colorée d’une étrangeté inexprimable (…)». La couleur véhicule également une émotion dans les tableaux de Jean‐Luc Blanc, à la facture vibrante et comme inachevée. Son portrait peint de «Femme tahitienne» capte l’expression fascinée d’un visage au regard d’un bleu intense. L’autre portrait peint d’un adolescent vêtu d’un pull jaune (en référence aux Amours Jaunes du poète Tristan Corbière) voisine une pièce Témoin de Benoît Broisat réalisée à partir d’une photo de presse de Michel Houellebecq. Suspendue à un cintre et accrochée au mur, la chemise jaune portée par l’écrivain lors de la prise de vue a été récupérée par l’artiste à la suite d’une longue enquête lui permettant d’identifier précisément l’objet. La retrouvaille ardue de l’objet de sa fascination rétinienne (que l’artiste rapproche du punctum de Roland Barthes) rappelle, les mécanismes du fétichisme comme désir focalisé sur un objet partiel, mais renvoi aussi à l’idée de relique.
De la fascination vers l’admiration.
Empruntant à la forme du monument, du trophée, de l’autel ou de la relique, les œuvres parodient ces objets transitionnels qui célèbrent l’accomplissement d’un acte ou balisent une quête d’absolu. Elles cristallisent le sentiment d’admiration en une forme tangible qui le répercute. Ritual Typography, un texte écrit par la chorégraphe Jennifer Lacey, invitée par Jean‐Luc Blanc, se déploie sur les cimaises comme une ritournelle qui accompagne l’exposition. Lacey y décrit un baptême panthéiste, une immersion du corps dans la nature, un éveil à soi. Finalement, l’admiration n’est‐elle pas surtout une façon de raviver ce rendez‐vous avec soi‐même appelé «vocation» ?