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L'histoire de « Substrat » s'invente sur une île. Grêlons, manèges et trompettes en sont quelques protagonistes. Une baleine y laissa même son oreille... Précieux collectionneur de curiosités, Evariste Richer mêle à ses intrigues fictives, phénomènes naturels et scientifiques. L'exposition « Substrat » révèle la détresse des hommes à inventer un monde à l'écoute de leurs natures.

Les baleines ont aussi des oreilles

par Mathilde Sauzet

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Drôle de bâtisse que le Centre International d’Art et du Paysage. Disposé sur le flan d’une colline boisée de l’Ile de Vassivière, le bâtiment domine le lac. Sa composition géométrique austère marque le paysage de ce parc naturel du Limousin d’une intrigante présence humaine. L’ouvrage est signé du célèbre architecte italien Aldo Rossi et de son associé Xavier Fabre ; les formes archétypales en attestent. Selon les architectes, «le mur» et «la tour» qui constituent le Centre International d’Art et du Paysage figurent parmi les plus primitives interventions des hommes dans leur processus d’appropriation d’un territoire. En effet, le corps de bâtiment principal, sorte de barrage, oriente notre cheminement entre champs et forêt. La tour pointue, disposée à son extrémité, confère à l’imaginaire collectif des lieux d’observation, de surveillance et de recueillement. L’ensemble dessine l’espace physique et symbolique du centre d’art, dans l’intention d’un contraste et d’une intégration dans le paysage. Construit en 1991 dans le cadre d’une réflexion sur le développement social et touristique de la région, le Centre International d’Art et du Paysage entretient et actualise le débat alors engagé sur la définition et la production des paysages. Il constitue depuis sa création, un laboratoire d’expériences sur les relations entre la nature et l’artifice. Si l’art est né un jour dans le souci de corriger la nature, quelle relation art et nature entretiennent-ils aujourd’hui ? Les œuvres d’Evariste Richer ont, sur ce sujet, bien des choses à raconter. La palette du diable fait d’un morceau de météorite une palette d’artiste. Le porter manifeste de cet objet de travail, d’où naissait chaque nouvelle représentation de la réalité, nous rappelle le défi des artistes d’hier et d’aujourd’hui de transformer les perceptions du monde. 

 

Un immense disque jaune et vert est dressé dans la nef. Rossi ou Richer ? L’énigme persiste jusqu’à reconnaître le plateau d’un manège ancien, encore marqué de traces de pas. La pièce s’appelle L’horloge. Elle n’a seulement pas d’aiguilles. Dans ce lieu déjà hors du temps, l’idée d’une horloge sans heure introduit à merveille le travail de l’artiste. En effet Evariste Richer, compose un univers marqué par l’héritage des hommes au fil du temps. Le «substrat» serait précisément ce qui reste des moments passés, une substance qui traverse les époques. Comme une résistance à l’écoulement du temps, l’artiste collectionne les objets manufacturés, les ressources naturelles et les procédés techniques d’origines très variées. Son intervention consiste à les trier et à les mélanger, au point de ne plus dissocier les sources des éléments. Le hasard participe parfois à ses procédés. Et c’est dans ces subtils mélanges que Richer invente de nouvelles alchimies en écho à notre présent. Avalanche (#2) en est une. Une image d’avalanche pixélisée fut réalisée à l’aide de 60 000 dés à jouer. S’il faut des journées pour composer cette surface dégradée, il ne faut que quelques secondes à la neige pour dévaler. Richer nous offre un instant suspendu de la chute.

 

La grêle est un inventaire de photos de grêlons répertoriées sur internet. Ce phénomène naturel ponctuel semble posséder une certaine aura : des dizaines de mains tenues, de compositions décoratives et de moyens de mesures mis en scène pour immortaliser ces petites pépites de glaces. Développées selon un procédé ancien appelé le cyanotype, ces images d’un bleu intense ne semblent pas avoir d’âge, témoignant d’une émotion instinctive et intemporelle face à la puissance de la nature. L’artiste observe justement les réactions des hommes face à la nature. Comment comprendre la neige et les météorites ? Peut-on les maîtriser ? Les pièces de l’exposition présentent la vanité et la beauté de ces tentatives. Pourquoi ne pas mesurer la lune ? L’artiste a inventé l’outil de mesure lunaire. Calculé selon des méthodes scientifiques du 18e siècle qui servirent à définir le «mètre étalon», Le mètre lunaire de Richer mesure 27,7 cm. Si la science trouve une place récurrente dans son travail, l’artiste convoque essentiellement le potentiel esthétique des techniques et la poésie des systèmes ; manière de garder de la place à tout ce qu’il préfère inventer qu’expliquer.  

 

Le mur de la dernière salle est percé d’une minuscule lucarne donnant sur le lac. Nous arrivons à l’extrémité de l’arche de Rossi. La pièce s’appelle Le La et présente un petit dispositif composé d’une lampe à huile et d’un tube à essai, dans lequel est installé un morceau de céramique finement perforé. Sur le même socle de bois, face à cet agencement : la fameuse oreille de baleine. En approchant la flamme du tube, ce dernier chauffe. L’air traverse alors les perforations de la céramique. Un son sort alors. Une sorte de sirène comme en ont les bateaux pour signaler leur présence, parfois leur détresse dans l’immensité de la mer. L’image de la baleine, comme le symbole d’une nature lente et puissante, fait écho à ce cri sans fin. Evariste Richer convoque à son tour l’imaginaire collectif, les histoires et les légendes qui nous lient à la nature. La science et toutes les technologies auxquelles elle a donné lieu ne sont-elles pas continuellement des outils de mesure et de confrontation avec notre nature ?

 

En cette période de confusion politique, économique et écologique, le monde peine à penser l’avenir des hommes sur de longs termes. Evariste Richer mêle délicatement le passé et le présent pour mieux en apprécier les contrastes. Il garde ainsi l’oreille à l’écoute de l’évolution de nos multiples natures. Quand nous nous sentons dépassés par le monde dans lequel nous vivons, le «substrat» semble être ce frein dont nous avons besoin. Une essence de résistance.




Evariste Richer
« Substrat »
14 Octobre 2012 < 6 Janvier 2013
Centre international d'art et du paysage de l'île de Vassivière

www.ciapiledevassiviere.com

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Evariste Richer Mathilde Sauzet
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