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Capsule BioHARDCORE

par Julien Zerbone

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La Capsule BioHARDCORE, qui s'est posée du 13 mars au 1er avril 2017 à l'espace des Limbes de Saint-Étienne, s'incarne d'abord en un imaginaire mystique et païen, ensuite une voix, celle convulsive d'Antoine Boute, poète expérimental et « pornolettriste », enfin des corps, ceux de Chloé Schuiten, dessinatrice et sculptrice et de Clément Thiry, bricoleur et dormeur. Depuis deux ans, ceux-ci développent une pratique performative, volontiers festive, qui prend corps dans les marges et interstices que sont les bords des routes ou les forêts, pratique qu'ils qualifient de « BioHARDCORE ».

Le concept est né de l'imagination d'Antoine Boute, qui évoque dans une lecture de 2016 le manifeste « En avant pour la révolution bioHARDCORE, manuel pratique pour, au niveau macropolitique, sauver la planète, en transformant toutes ces forêts et ces terrains vagues en états indépendants non anthropocentrés, et, au niveau micropolitique, faire tendre la vie humaine vers son niveau hardcore dur, animal, végétal, matériel, nucléaire1». « Révolution » est ici moins à entendre comme changement radical de régime politique que dans son sens originaire, revolutio, à savoir « retour du temps » : la Révolution BioHARDCORE c'est une involution, une régression spontanée ou provoquée de l'organisme à un état antérieur, un retour à l'état végétatif que revendique Chloé Schuiten : « le summum serait de ne plus rien faire, plus rien d’utile et de productif mais de me consacrer uniquement et totalement à n’être plus qu’un corps en ultra, juste et précise connexion avec son milieu2».

À Saint-Étienne, le trio a tenté, deux semaines durant, de vivre et de se nourrir uniquement de ce que la ville recelait, de ce dont personne n'avait usage, des déchets entassés dans les terrains vagues, des mauvaises herbes, des feuilles mortes et des restes d'élagages, des rebuts alimentaires et des composts. Ils ont fait de l'espace des Limbes leur « camp de base » où ils dorment, produisent, cuisinent, un espace qu'ils aménagent au gré de leurs trouvailles, besoins, envies. Au centre de la première salle s'élève une tornade de cartons, branchages, papiers et bouteilles en plastique ; aux murs, on peut apprécier douze horoscopes « BioHARDCORE » écrits par Antoine Boute et illustrés par Chloé Schuiten, agrémentés d'étranges statuettes zodiacales que la jeune artiste réalise en miettes de pain cuites au four. Au fond, une salle est aménagée en « grotte », avec au sol des matelas en fagots de branchages ; la troisième salle est dédiée aux activités vitales que sont le dessin, le récit des rêves et la cuisine. Au sol, on trouve une plaque électrique à côté de laquelle des déchets alimentaires découpés sont rangés soigneusement par nature, par couleur, par finesse, formant une palette d'un genre original ; en face, Clément Thiry et Chloé Schuiten transcrivent et illustrent au moyen d'une encre noire faite de charbons glanés sur les crassiers de Couriot, leurs rêves de la nuit.

On retrouve dans la Capsule BioHARDCORE ce que John Cage a qualifié d'expérimental, « non pas un acte destiné à être jugé en termes de succès ou d’échec, mais simplement un acte dont l’issue est inconnue3» : ici, il n'est pas d'autre objectif que l'expérience comprise comme processus, comme modification radicale des conditions et du mode de vie, tout y est subordonné, de l'aménagement de l'espace d'exposition à la production de nourriture, en passant par les pérégrinations dans la ville et les rencontres de fortune. Il est aussi expérimental puisque l'on ne saurait, pendant le temps de la résidence, discerner ce qui est de l'ordre du projet et ce qui ne l'est pas, ce qui est de l'ordre de la pratique artistique et ce qui est de l'ordre du projet de vie, du fonctionnement quotidien : « ce qui constitue l’expérience (...) c’est de ne savoir à aucun moment comment qualifier ce que l’on fait. Aujourd’hui, nous pouvons dire que l’art expérimental est cet acte ou cette idée dont le statut artistique doit toujours être mis en doute. Et cela vaut non seulement pour tout compagnon de jeu de «l’artiste» mais plus encore pour «l’artiste» lui-même.4 »

Comment qualifier cette expérience ? Elle nous semble d'abord être une fuite à l'intérieur même des interstices du tissu urbain, des lois, des normes et du capitalisme, avec pour armes, entre autres, la récupération et l'usage des déchets, le bricolage de vêtements, d'abris de fortune ou de recettes de cuisine. Elle est aussi une forme d'ensauvagement dont l'on retrouve les marques dans le rapport des artistes au sol, au végétal, omniprésent dans l'exposition, dans l'importance qu'ils accordent à la forêt – le soir du vernissage, les artistes ont convié les derniers éveillés à marcher sur des braises dans le jardin des plantes de Saint-Étienne – et à l'animalité. C'est enfin une expérience que nous qualifierions de romantique : en témoignent l'importance qu'accorde Clément Thiry au rêve et au sommeil, l'intérêt marqué de Chloé Schuiten pour les gloses mystiques et les symboles, le caractère volontiers insurrectionnel de la poésie d'Antoine Boute, l'omniprésence dans leurs discours d'une nature chaotique toute puissante, remède à la civilisation.

La révolution BioHARDCORE est avant tout une fête : Antoine Boute, Chloé Schuiten et Clément Thiry s'engouffrent et se baignent allégrement dans la merde dont le monde abonde, font corps avec cette masse – ce peuple – qui déborde et submerge le capitalisme lui-même, font corps avec l'insurrection permanente qui gronde en son sein. On en regrette cependant le caractère localisé, temporaire et partiel – aux Limbes, l'eau, l'électricité, internet, la lumière n'ont jamais été coupés –, le caractère symbolique aussi. Dans l'ambiguïté entretenue entre poétique et politique, entre discours et pratique réside tout à la fois le danger et la richesse de la démarche du collectif : on aime à imaginer cette fiction en acte, cette poétique de l'excès coloniser progressivement le réel, à chercher dans le monde même les signes de la révolution BioHARDCORE ; on craint cependant d'en voir le périmètre strictement limité à la sphère artistique. Quoiqu'il en soit, la Capsule BioHARDCORE, expérimentale et générale, n'est qu'une phase d'un processus dont nous suivrons attentivement les prochaines expérimentations.




Capsule Biohardcore

Antoine Boute, Chloé Schuiten et Clément Thiry

du 13.03.17 au 01.04.17

Les Limbes

7 rue Henri Barbusse – Saint-Étienne

leslimbes.wordpress.com

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Julien zerbone les limbes
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