L’intitulé est aussi énigmatique que rêveur : la constellation du peut-être, c’est ainsi que Joëlle Tuerlinckx a choisi de nommer son exposition personnelle au CIAP de Vassivière, cet été 2018. Le « peut-être », c’est ce qui pourrait advenir, c’est ce à quoi on laisse le temps de l’indétermination, c’est ceci ou bien cela. La courte édition qui accompagne l’exposition le dit d’ailleurs bien : cette œuvre s’appelle NOR ou Neither, celle-ci Jet-de-lac ou Rêve de fontaine, celle-là La masse ou Edda. Les œuvres, toutes produites pour l’occasion, ont besoin de temps pour qu’on les appréhende dans leur totalité. Du temps, il en faudra d’ailleurs pour les voir toutes, car elles se déploient bien au-delà des bâtiments du centre d’art, et il faudra parcourir courageusement l’île pour aller à leur recherche, avec ou sans jumelles, en portant son regard au loin ou au bout de ses pieds.
La constellation imaginée par Joëlle Tuerlinckx rappelle beaucoup celles que l’artiste Nancy Holt a mis au cœur de plusieurs de ses œuvres in situ dans le paysage américain au cours des années 1970 : on pense notamment aux imposants cylindres de ses célèbres Sun Tunnels (1973-1976), troués de constellations, ou aux disques de béton remplis d’eau de la plus confidentielle Hydra’s Head (1974). Le motif du cercle ou du disque, qui vient refléter, réverbérer ou qui laisse simplement passer la lumière se retrouve dans le projet limousin de la plasticienne belge : c’est le cas par exemple de NOR, structure en inox poli déposée au sol entre la mousse et les feuilles d’arbre tombées, de Modernité, chape de béton circulaire que l’on retrouve sur les pentes situées derrière le centre d’art ou encore WORDHOLE, disque immaculé en grès émaillé, qui vient faire face au lac. Ce dernier renvoie les rayons solaires au point d’apparaître sur l’herbe comme une cavité lumineuse, tandis que la chape cimentée jaillit comme une lune aux cratères irréguliers, et que le métal du premier a été lustré de façon à faire apparaître un tourbillon nébuleux.
Peut-être n’y a-t-il rien à voir entre les murs du centre d’art, ou seulement de discrets rappels de tout ce qui se trame à l’extérieur : à l’intérieur, il faut prendre garde à ne pas heurter l’invisible, à contourner l’immense installation de la Nef en disques transparents disposés selon un agencement mystérieux, avant de se confronter à d’autres dispositifs faits de disques métalliques de tailles variables. Une photographie, placée à l’entrée du centre d’art, et qui montre trois hommes – les deux architectes Aldo Rossi et Xavier Fabre en compagnie de Dominique Marchès, le premier directeur du lieu – ne dit pas autre chose : Aldo Rossi désigne de ses mains les positions futures du centre d’art et de la tour. Joëlle Tuerlinckx a fait émerger un petit halo lumineux au centre de l’image, transformant la photographie d’archive en hommage à ce qu’on ne peut pas voir d’emblée et qui relèverait plutôt de l’apparition.
D’ailleurs, des mirages, il y en a dans la constellation du peut-être : c’est, perdu dans les herbes, un lingot imposant de bronze comme une préciosité échouée du lac (La masse), ou encore une balise plastique recouverte de peinture métallique de carrossier et qui apparaît dans l’eau comme une hallucination d’île au trésor (Iso Silver). Le tout est empreint d’une certaine inquiétude : c’est le cas de Maincy, léger glouglou qui affleure aléatoirement à la surface du lac, comme un geyser sous-marin essoufflé.
Ce qui marque, c’est le caractère anti-spectaculaire des œuvres de Joëlle Tuerlinckx : même quand elles empruntent leurs matériaux à une histoire de l’art qui ne cesse de les rattacher à des formes imposantes – bronze, inox, béton… – elles ne peuvent s’empêcher d’être discrètes, métaphoriques, et surtout refusent de rivaliser avec le paysage qui les environne. Même Jet-de-lac, la fontaine conçue par l’artiste pour le domaine, s’avère plus balbutiante que triomphale. Pour l’imposante tour d’Aldo Rossi, elle a pensé la très délicate Pulsator-Landscape, de petites feuilles de plastique souples mises en action par un moteur. De loin, on croit entendre les élytres d’un hanneton. De plus près, le cercle de lumière vibre comme des phosphènes. Si l’on choisit de gravir les escaliers du phare, il est possible de faire advenir une des dernières œuvres de l’exposition : Moment d’exposition n’est qu’un très modeste disque de papier que les spectateurs sont invités à activer. La précision est inscrite dessus : « à voir tomber ». On confirme : il tourbillonne lentement dans les airs. Encore une histoire d’éblouissement, faut-il croire.
Joëlle Tuerlinckx La constellation du peut-être Centre international d’art et du paysage de Vassivière Du 29 juin au 4 novembre 2018 www.ciapiledevassiviere.com