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cONcErn ou le milieu de l'art

par Raphaël Brunel

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Itinéraire : Paris – Moulins-sur-Allier en train (2h25), puis compter quarante minutes en voiture pour rejoindre Cosne d’Allier. Les coordonnées (46° 28′ 34″ nord, 2° 49′ 56″ est) ne trompent pas : à peu de chose près, nous nous trouvons au milieu de la France. Un centre qui a aussi la particularité d’être une périphérie. C’est là, en 2013, que les artistes Cécile Colle et Ralf Nuhn achètent une ancienne manufacture à l’abandon pour y établir cONcErn1.

Mobilisation sociale oblige, la visite du lieu a été annulée, laissant place au récit (une constituante essentielle de ce projet artistique) de ses deux instigateurs joints par téléphone. Avec en tête ces questions : que deviennent les œuvres une fois soustraites au regard du·de la visiteur·euse ? Continuent-elles à « exister » hors de ce moment d’apparition privilégié qu’est l’exposition ? Leur « mise en veille » génère-t-elle de nouvelles situations de monstration et de réception ?

L’originalité de cONcErn est de s’emparer, de manière à la fois pragmatique et sensible, du versant logistique de l’art. « Tout est d’abord parti de notre propre pratique, confient Cécile Colle et Ralf Nuhn, des difficultés rencontrées à la fin d’une exposition concernant le stockage et le transport. Nous avons donc eu l’idée de proposer à d’autres artistes d’accueillir leurs œuvres lorsque leur devenir devenait incertain ou qu’elles étaient menacées de destruction. » La politique d’accueil de cONcErn repose sur une logique d’affinités électives et de besoins (de l’ordre de la survie) et non sur des critères esthétiques. « Nous ne cherchons pas à constituer une collection, nous effectuons plutôt une collecte. »

En déposant leurs œuvres sous le toit de cette ancienne friche, les artistes trouvent ainsi une solution pour conserver leur intégrité, malgré des formats parfois monumentaux ou la profusion de leurs éléments constitutifs. Ce lieu leur permet de prendre le temps de réfléchir au sort de leur travail. La fragilité et la poésie du bâtiment, où la végétation reprend ici et là du terrain, rejoue à l’échelle structurelle l’entre-deux et la précarité dans lesquels se retrouvent ses nouveaux habitants. En se présentant comme une « infrastructure artistique », cONcErn mobilise une terminologie qui désigne autant un équipement supportant un ensemble qu’un registre de visibilité sous-jacent et imperceptible.

Elle suggère également les moyens et les outils qui permettent l’émergence d’une communauté – celle des œuvres recueillies comme celle qui se constitue autour d’elles. Différents événements croisant performance, régie et médiation rythment cette nouvelle vie à cONcErn. L’intégration de chaque pièce est marquée par une « réception » en présence de l’artiste et du public au cours de laquelle est évoquée son histoire, de sa production à son exposition en passant par les raisons de son arrivée à Cosne d’Allier. Une fois déposée, elle reste accessible aux visiteurs, « à vue » comme on dit dans la conservation muséale. « Il se dégage quelque chose de très particulier à cONcErn. L’accès à aux œuvres stockées donne l’impression aux visiteur·euse·s de découvrir les coulisses d’un théâtre. »

Autre temps fort, les « destructions orchestrées », sollicitées par l’artiste lorsqu’il·elle est prêt·e à se séparer de son œuvre, produisent de nouveaux gestes artistiques. Laurent Faulon a par exemple fait retirer la couche de boue qui enduisait les nombreux objets du quotidien de son exposition « Mon ciel » au Transpalette à Bourges en 2014, comme pour en soustraire l’aura artistique et leur redonner leur statut initial. Le démantèlement chorégraphié de l’imposant Musée du futur (2016)2 de Wesley Meuris, quant à lui, a été accompagné par un groupe de musique. La question du transport est également investie. Cécile Paris organise ainsi le rapatriement en caravane de son œuvre Eléor (2015), du centre d’art Passerelle à Brest jusqu’à cONcErn. Chaque étape du périple devient l’occasion d’une rencontre autour de sa restauration.

En décrivant leur initiative comme une « œuvre-milieu » et en privilégiant une politique de l’attention et du care qui pourrait résonner avec d’autres situations d’urgence contemporaines, Cécile Colle et Ralf Nuhn proposent une réflexion concrète sur les conditions d’existence de l’œuvre ainsi que sur les interactions qui définissent l’art en tant qu’écosystème singulier.




cONcErn, Cosne-d'Allier

www.concern.fr




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