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Ponctuations artistiques et immersions cartographiques au fil du partage des eaux

par Anne Favier

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La ligne du partage des eaux n’est pas un mirage. Dans le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche, c’est une ligne de crête bien réelle : là où les eaux se séparent et sculptent singulièrement le paysage en s’écoulant, versant méditerranéen ou versant atlantique. Mais comme toute ligne, elle relève d’une représentation mentale qui passe par l’abstraction. Ici le dessin topographique ou bien plutôt orographique (littéralement l’écriture de la montagne) oriente le dessein ambitieux du parcours artistique dirigé par David Moinard à partir des recherches du paysagiste Gilles Clément. Inauguré en 2017, le parcours artistique « Partage des eaux », soutenu par des financements régionaux, nationaux et européens, se déploie sur une centaine de kilomètres1 le long de cette ligne géologique invisible à l’œil nu, rendue manifeste par l’inscription de six œuvres contemporaines conçues in situ et d’une collection de mobilier en châtaignier – une essence endogène. Ces créations ne sont pas les pièces rapportées d’un énième parc de sculptures ; il ne s’agit pas non plus d’interventions relevant du Land art. Les productions artistiques commandées auprès de Gilles Clément, Gloria Friedmann, Kôichi Kurita, Olivier Leroi, Stéphane Thidet et Felice Varini sont pérennes, même si elles peuvent évoluer sur un modèle entropique (les inscriptions à la feuille d’or de Varini sur les ruines d’une abbaye du XII° siècle s’effaceront au fil des ans). Avec empathie, l’ensemble des créations tisse des relations formelles, matériologiques, sémantiques, narratives ou encore poétiques avec chacun des sites historiques retenus, le long des chemins qui embrassent aussi le tracé du GR7. « Depuis que les hommes parlent et font des signes, ils fabriquent et suivent des lignes2 », écrit Tim Ingold. Cette histoire de lignes fait en effet écho à celle qui animait les reliefs pariétaux pour figurer le vivant, il y a quelque 36000 ans, dans une Ardèche autrement plus fréquentée : celle de la grotte Chauvet.

Les créations artistiques du parcours, en révélant ou réfléchissant ponctuellement le dessin du partage des eaux, font appel à des dispositifs spéculaires et optiques : télescopage de l’endroit et de l’envers du décor, désorientation de la perception avec des surfaces réfléchissantes inclinées dans lesquelles nous ne pouvons pas nous mirer (l’installation de Thidet), abstraction des plans en plongée (la Loire filmée vue du ciel par Leroi), panorama à 360° syncopé en une bobine de fenêtres à l’effet cinétique (Le Phare, Friedmann), condensation et diffraction visuelles par anamorphose (Varini)… Les pièces de mobilier offrent aussi des perspectives multiples pour appréhender le paysage. En jouant avec la plasticité des repères et des situations, les créations nous font éprouver la variabilité des points de vue et conduisent à des déplacements spatiaux – de part et d’autre de la ligne géologique –, mais aussi sensibles et métaphoriques. En parallèle, six stations de « Mires3 » jalonnent l’itinéraire. Disposés dans des belvédères naturels, d’élégants mats en bois biseautés sont autant d’index dressés à différentes hauteurs. Grâce à une échelle et un cadre de visée, nous pouvons ajuster le niveau de notre propre horizon pour mieux nous projeter dans la paysage et relier mentalement les pointes colorées. Par-delà les distances se dessine alors subrepticement un fragment de la ligne de crête qui se trame sous nos yeux, comme l’on suivrait du bout du doigt le tracé d’une carte. Via le parcours, nous remontons le fil de cette ligne et cheminons dans une cartographie à ciel ouvert et à notre échelle. La Tour à eaux imaginée par Gilles Clément rejoue d’ailleurs en miniature le Mont Gerbier de Jonc. Finalement, nous tournons autour de la superbe carte sensible4 de la Loire élaborée par Kôichi Kurita, réseau tellurique aussi précis qu’aveugle de toute indication géographique.

Le parcours artistique est ainsi tissé d’échanges entretenus par les œuvres et autres dispositifs qui le composent. Ces récits partagés5 et trajectoires entrelacées animent le territoire et font sourdre son histoire sous-jacente.




Le Partage des Eaux, L'Isle-sur-la-Sorgue

lepartagedeseaux.fr




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