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Sarah del Pino - Les « Faits sauvages », des éclats de réel

par Géraldine Sfez

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Dans ses vidéos comme dans son œuvre plastique, Sarah del Pino s’attache à ce que la philosophe Donna Haraway appelle des « faits sauvages », autrement dit ces micro-événements du réel, ces éléments inobservés – parce qu’invisibles ou dissimulés – qui nécessitent pour être vus d’être « fictionnés ». Dans le cadre de Galeries Nomades2018, l’artiste investit les deux étages de la MAC (Maison des Arts Contemporains) de Pérouges et introduit le spectateur dans un univers qui mêle anticipation et fragments de réel, formes futuristes et tombeaux ottomans.

Tout commence par une vidéo qui, en quelques images, nous fait perdre tout repère. Un silo isolé vu en contre-plongée, les allées d’une ferme sans fermier, des robots qui circulent avec des mouvements millimétrés, le tout filmé entre chien et loup : dans la vidéo Rêvent-elles de robots astronautes ? (2017), Sarah del Pino propose un détour par la science-fiction pour explorer une ferme bien réelle, située dans l’Ain. À partir d’un dispositif précis, elle décrit ce lieu sur un mode qui relève aussi bien de la fiction que du documentaire. La caméra, installée sur les robots qui nourrissent et nettoient les bêtes, voit la ferme à hauteur de machines et restitue les mouvements lents et saccadés de celles-ci. Tel ce laser qui cherche longuement à repérer les pis sur lesquels se brancher ou ce robot qui semble avancer à l’aveugle décrivant un maladroit ballet entre les animaux. Un des paradoxes de ce dispositif mécanique est la manière dont il donne à voir les vaches de près, comme ce gros plan, poignant, sur l’œil de l’une d’entre elles. En contre-champ de cette ferme entièrement automatisée, l’artiste dévoile, dans un dernier plan, un lotissement. Pas de trace d’humain ici non plus ; la seule chose que l’on aperçoive, derrière des rideaux, est un large écran plasma qui diffuse une lumière bleue semblable à la lumière artificielle dans laquelle vivent les bêtes, de jour comme de nuit.

La vidéo Horizon B (2018), projetée verticalement sur un disque de plexiglas, renvoie également à une fable de science-fiction : celle du bruit que fait la terre quand elle se décompose. Telle une géologue-acousticienne, Sarah del Pino a échantillonné des espèces de terre et les a placées dans une petite caisse remplie d’eau afin d’en capter la sonorité spécifique, liée à leur texture et leur composition chimique. Argile poreuse, ocre poudreuse : chacune apparaît avec sa couleur, son temps de décomposition et son identité sonore propres. Cette vidéo quasi abstraite, qui rappelle la séquence métaphysique de Deux ou trois choses que je sais d’elle (1967) dans laquelle Jean-Luc Godard filme en plan rapproché et en plongée une tasse de café, produit un effet hypnotique chez le·la spectateur·trice qui finit par perdre le fil de ce qu’il·elle voit et s’immerge dans la matière sonore.

 Avec L’Autel des mirages et Mirage inférieur (2018), l’artiste engage un autre jeu perceptif, qui se décompose en trois temps. Elle oriente d’abord le regard du·de la spectateur·trice par le biais d’une cimaise opaque, striée d’un liseré dont les couleurs se modifient, dessinant une ligne d’horizon mouvante. Après avoir longé cette paroi, le regard se trouve absorbé par une forme noire dont l’opacité et le dynamisme traduisent l’obsession qui tenaille l’artiste : comment produire du mouvement à partir d’un support statique ? Comment penser l’image en mouvement alors même que rien ne bouge ? C’est alors qu’apparaissent les quatre catafalques, dont les volumes reproduisent à une échelle plus réduite celui du monolithe et qui, éclairés par des lampes de poche posées à même le sol, décrivent des ombres à la surface des toiles cirées. Sculptures minimalistes d’un côté, travail méticuleux sur l’inscription des couleurs et le modelage de la lumière de l’autre, ces pièces cristallisent la réflexion de Sarah del Pino sur les images fixes et en mouvement, ainsi que sur le rôle joué, entre les deux, par la lumière.

Car la lumière est centrale dans le travail de l’artiste, à tel point qu’elle peut servir de fil rouge pour appréhender sa pratique. Qu’il s’agisse de la lumière indécidable des ombres portées de L’Autel des mirages ou de celle de nuit américaine dans laquelle baigne la ferme de Rêvent-elles de robots astronautes ?, c’est elle qui met en mouvement les formes et fait vibrer la couleur, faisant surgir, en creux des fictions inventées par Sarah del Pino, des éclats de réel.




Sarah del Pino, Faits sauvages

Octobre 28 – décembre 15, 2018

La MAC - Maison des Arts Contemporains, Pérouges (Ain)

www.lamacdeperouges.fr




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