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Traduit par Maurice Chapot

L’artmosphère underground lagotienne : des artistes nigérian·e·s qui relèvent le défi

par Iheanyi Onwuegbucha

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Lagos est la ville la plus peuplée du Nigéria, où elle occupe une place centrale dans le secteur artistique et culturel. Avec une population dépassant les vingt millions d’habitant·e·s, elle est la capitale économique et le principal hub culturel du pays. Même si Lagos est pleine d’une réserve presque illimitée d’artistes, de producteur·rice·s et de consommateur·rice·s d’art et de culture, on y trouve très peu d’infrastructures ou de financements publics pour soutenir ces activités, un paradoxe pour la ville qui avait accueilli en 1977 le célèbre Festival of Black Art and Culture (FESTAC). Le secteur privé, qui englobe sans distinction entreprises commerciales et organisations à but non lucratif, se retrouve donc au premier plan pour le financement de la production artistique. Depuis le début des années 2000, un certain nombre d’initiatives privées ont émergé, venant redéfinir l’économie culturelle de la ville et son écosystème artistique. Plusieurs de ces initiatives nées dans l’underground contribuent à alimenter le système mainstream. En retour, cette industrie culturelle mainstream engage le milieu alternatif, à l’occasion de grands rendez-vous du calendrier culturel de la ville. Cet article entend explorer les relations qu’entretiennent ces pôles antagonistes.

Au moment de l’Indépendance, dans les années 1950-1960, le développement de l’art au Nigéria a été promu par des artistes, qui ont pu bénéficier d’un soutien occasionnel, quoique limité, de l’État. Ces personnalités ont commencé à ouvrir des galeries d’art et des centres d’art en parallèle de leurs propres ateliers, pour créer des espaces d’échange et de partage avec les autres membres de la communauté artistique, une pratique qui reste encore largement répandue aujourd’hui.  On pourra noter par exemple l’initiative d’Aina Onabolu à Lagos, qui a conçu une galerie d’art à l’intérieur de sa résidence d’Ebute Metta en 1954. Ou évoquer le studio de Bruce Onobrakpeya, devenu l’Ovuomaroro Gallery, établie à Palmgrove en 1962. De la même manière, Afi Ekong, qui a dirigé la Gallery Labac, créée sous l’impulsion des autorités nigérianes, et a fondé en 1964 The Bronze Gallery1. Dans d’autres régions du pays, citons Felix Idubor et sa Idubor Gallery for Arts and Culture, désormais Idubor Arts Gallery2 (Benin City, 1958), Uche Okeke et son Asele Art Institute3 (Nimo), Demas Nwoko et ses New Culture Foundation4 et New Culture Studios and Gallery5 (Ibadan), ou encore Bona Ezeudu et la Bona Gallery (Enugu).  Bien sûr, cette liste est loin d’être exhaustive. Plusieurs galeries ont ouvert à Lagos depuis la tenue du FESTAC 77, qui a déclenché une véritable expansion de l’activité culturelle de la ville. D’autres sont apparues à partir du milieu des années 2000. Notons par exemple le Centre for Contemporary Art, né en 2007, dont le lancement a considérablement transformé la direction de la création contemporaine à Lagos. Grâce à une programmation orientée vers la médiation et l’expérimentation, le CCA a établi une nouvelle tendance : il est désormais rare de trouver des expositions n’intégrant aucun programme envers les publics. L’African Artist Foundation, avec le lancement de la National Art Competition et du Lagos Photo Festival, sont venus soutenir une scène photographique en plein essor.

Plus près de nous, ces cinq dernières années, de nouvelles initiatives très convaincantes ont été lancées, faisant souffler un vent nouveau sur la scène artistique. Parmi les nouveaux venus dans le paysage, on compte des collectifs d’artistes, des galeries commerciales, un musée d’art contemporain, des foires et des festivals, une biennale et plusieurs espaces gérés par des artistes. Ces dernier·ère·s ont relevé le défi et décidé de combler eux·elles-mêmes le vide laissé par des institutions culturelles publiques inexistantes, encouragé·e·s par le récent intérêt manifesté sur le marché de l’art pour les œuvres africaines. Alors que les prix des œuvres des artistes contemporain·e·s nigérian·e·s explosent sur un marché de l’art globalisé, certain·e·s d’entre eux·elles donnent en retour, mu·e·s par un sentiment de responsabilité envers la communauté artistique qui les a fait grandir, et désireux·euses de rendre à cette ville qui a fait d’eux·elles ce qu’il·elle·s sont devenu·e·s. D’autres « artpreneur·euse·s », décident eux·elles de fonder des espaces de travail incluant lieux d’habitation, services de bar et de restauration et galerie à destination des artistes et des producteur·rice·s, initiatives financièrement rentables pour soutenir leur art.

Musées
Comme dans d’autres régions d’Afrique, de nouveaux musées sortent de terre pour répondre au besoin pressant d’une communauté artistique en expansion constante et proposer un lieu d’accueil, dans la perspective d’un retour prochain des œuvres africaines volées pendant la colonisation. Des artistes en prennent parfois eux·elles-mêmes l’initiative, décidé·e·s à créer des musées. C’est le cas de l’underground Junkyard Museum of Awkward Things et du Museum of Contemporary Art. Le Junkyard Museum, dirigé par l’artiste nigérian Thejunkmanfromafrika Dilomprizulike désormais installé en Allemagne, fait partie du JCC (Junkmania Creative Concepts) Worldwide. Pour Junkman, le musée, qui se double d’un atelier, « héberge des œuvres et concepts anthropologiques du junkmanfromafrica produites pendant près de trente ans » aux côtés d’œuvres d’autres « important·e·s et respectables artistes et collectionneur·euse·s d’art du Nigéria et d’ailleurs6 ». Le Museum of Contemporary Art Lagos (MoCa), caché au cœur d’Anthony Village, un quartier résidentiel de Lagos, abrite quant à lui le studio de l’artiste et fondateur Uchay Joel Chima. Incluant un petit espace d’exposition, le musée offre un lieu de travail et d’expérimentation, bien différent des rutilantes galeries et centres d’art des îles. L’existence de cet espace et sa localisation offrent un écrin idéal pour l’accueil d’expositions off, de résidences et autres événements organisés en marge des grandes manifestations de Lagos. Avec une autre direction artistique, le MoCA aurait véritablement le potentiel de révolutionner la pratique muséale contemporaine à Lagos à travers ses expositions et ses programmes. À l’image du Studio Museum d’Harlem à ses débuts, il aurait la possibilité d’offrir un espace aux artistes émergent·e·s, refoulé·e·s des musées et des centres culturels mainstream de la ville, et de s’engager auprès de la communauté du quartier en incluant des écolier·ère·s dans ses activités de médiation dédiées au public.

À côté du MoCA, un autre espace récemment apparu dans le paysage lagotien suscite également l’intérêt : la Treehouse de la performeuse Wura-Natasha Ogunji. Auparavant son propre appartement, niché au dixième étage d’une tour d’immeuble avec une épicerie au premier étage, la Treehouse organise des événements hebdomadaires. Chaque jeudi soir, des artistes et passionné·e·s d’art se réunissent pour discuter et se détendre dans une atmosphère très informelle, où les participant·e·s partagent boissons et nourriture autour d’une projection, d’une installation ou d’une performance. Le lieu a accueilli, entre autres, des installations d’artistes tels que Rahima Gambo, des dessins mis en mouvements par Phoebe Boswell et un salon de dessin par Kadara Enyeasi. L’atmosphère cosy et intime de la Treehouse offre une opportunité unique d’entrer en relation avec les œuvres, loin de la pression d’autres événements publics formels du milieu de l’art – peut-être est-ce là d’ailleurs précisément l’idée de cette « cabane dans les arbres7 ».

À moins de cinq minutes de voiture de la Treehouse se trouve l’espace de l’artiste Victor Ehikhamenor : Angels and Muse. Ce lieu illustre la tendance actuelle de mise à disposition d’espaces de travail alternatifs et bon marché à des privés et des petites entreprises; une réponse au coût élevé de l’immobilier dans les grandes villes comme Lagos. Ehikhamenor a cependant franchi une étape supplémentaire en y ajoutant un espace de coworking : Angels and Muse intègre un lieu d’exposition, des espaces de travail individuels, d’autres permettant d’accueillir des séminaires, formations, rendez-vous, séances de lecture, etc. Le projet met également à disposition un « refuge d’artiste » unique en son genre : deux chambres (la chambre bleue, et la chambre blanche) où s’isoler du chaos ambiant pour faire l’expérience d’un processus créatif en immersion. Si la chambre blanche est relativement traditionnelle, la chambre bleue est recouverte du sol au plafond par des lignes bleues dans le pur style d’Ehikhamenor. Une occasion unique pour les hôte·esse·s de vivre et travailler à l’intérieur même d’une œuvre d’art.

16 by 16, tout comme Angels and Muse, est un espace de création situé au cœur d’un immeuble résidentiel de Victoria Island. 16/16, de son vrai nom, est dirigé par Tushar Hathiramani. Il propose sept chambres, un bar, un restaurant et une galerie. Bien que le lieu n’ait pas encore de programme propre, il a accueilli plusieurs événements en collaboration avec d’autres organisations de la ville, comme le Lagos Photo Festival et ArtHouse Foundation (dirigée par les propriétaires de la salle des ventes ArtHouse Contemporary). Avec leurs espaces d’hébergement, Angels and Muse et 16 by 16 sont des lieux en vogue pour les artistes et curateur·rice·s de passage à Lagos.

La Biennale de Lagos : des marges au centre
À l’automne 2017, Lagos a assisté à une nouvelle vague d’événements artistiques : une foire d’art contemporain, des festivals et une biennale. La première édition de la Biennale de Lagos intitulée Living on the Edge8 (« Vivre au bord du gouffre ») s’est ouverte dans un climat sceptique et a compté nombre d’intrigues, d’improvisations, en dépit d’une utilisation inventive de l’espace. L’investissement des hangars abandonnés de la Nigerian Railway Corporation de la gare de Lagos, transformés le temps de la biennale en espace d’exposition pour y présenter vidéo, photographies et installations, a certainement été son coup le plus audacieux, témoignant du volontarisme des lagotien·ne·s, et des nigérian·e·s en général. L’utilisation innovante de l’espace a permis aux commissaires de déconstruire le concept du White Cube et de créer un dialogue inattendu et très concret avec les populations marginalisées qui vivaient sur place. La Biennale, une initiative de l’artiste et curateur Folakunle Oshun, a cherché dès sa première édition à ouvrir un dialogue autour des enjeux culturels, artistiques et politiques entre Lagos et le reste du monde. La seconde édition s’est tenue au sein du tout aussi abandonné, mais néanmoins plus « prestigieux » Independence Building de Lagos Island. Née (littéralement) à la marge, à l’initiative d’un artiste-curateur, d’un projet underground, la Biennale de Lagos s’est désormais transformée en une institution de référence.

L’Iwaya Community Art Festival, organisé par l’artiste Aderemi Adegbite via la plateforme du Vernacular Art-space Laboratory (VAL), est une autre initiative tout aussi remarquable. Le festival a lieu à Iwaya, un quartier populaire de Lagos. Par sa localisation, le festival recherche l’inclusion, en rendant l’art accessible à un public qui, autrement, ne pourrait pas visiter les expositions des galeries des quartiers huppés de la ville, rapprochant ainsi l’art des lagotien·enne·s ordinaires. Ici aussi, comme pour la biennale, ce rendez-vous annuel de trois jours investit des lieux alternatifs ou abandonnés pour déployer des propositions artistiques in situ, prenant d’assaut les rues de la communauté d’Iwaya pour présenter des initiatives originales : performances, photographies, projections de vidéos, workshops ou conférences. Pour Adegbite, « le festival est né du besoin de reconquérir la jeunesse et remettre en question la réputation du quartier, considéré comme un haut lieu de la criminalité. Il est fait pour canaliser les énergies des jeunes d’Iwaya, pour les détourner des activités négatives, et les encourager à explorer leur sensibilité à travers l’art et à œuvrer dans cet état d’esprit pour la communauté9 ». Le festival lui semble une opportunité de remettre en cause le classicisme du milieu artistique et sa limitation dans la mégapole au concept du White Cube, il doit rapprocher l’art des gens sans que cela ne leur coûte quoi que ce soit10.

Compter sur soi-même n’est pas une tendance nouvelle chez les artistes au Nigéria. Les nigérian·e·s de tous milieux sociaux sont d’ailleurs habitué·e·s à subvenir eux·elles-mêmes à leurs besoins essentiels – en logement, en électricité, en eau potable, en sécurité, et même parfois en routes, lassé·e·s d’attendre que l’État en prenne la charge. Il n’est donc pas surprenant que des artistes créent des centres culturels afin de développer leur activité. La prolifération d’espaces dirigés par des artistes est d’ailleurs l’un des facteurs de cette effervescence qui caractérise l’écosystème culturel lagotien. L’existence de tels espaces, disséminés à travers la ville et à disposition des artistes pour créer et présenter leur travail contribue positivement au développement d’un sentiment d’appartenance communautaire. Ces espaces leur permettent également de conserver un certain contrôle sur leurs œuvres, un privilège rare dans un contexte de grande méfiance entre artistes et marchand·e·s d’art.

Une relation symbiotique
Interrogé par Jess Castellote (le nouveau directeur du Yemisi Shyllon Museum of Art, abrité au sein de la Pan Atlantic University de Lagos), pour son blog A View From my Corner, sur la concurrence que pouvait représenter Art X, la nouvelle foire d’art contemporain, pour la Biennale de Lagos, Folakunle Oshun, le fondateur de cette dernière, répondait : « Art X complète la Biennale et vice versa11. » Pour lui, Art X montre au public que l’art est un marché financier important, quand la Biennale de Lagos « ouvre de nouveaux espaces d’expressions artistiques et de discussion12 ». Un bon résumé des liens qui unissent les initiatives marginales aux projets plus connus de Lagos. Après une première édition réussie en 2016, placée sous la direction de Bisi Silva, Art X Lagos est devenu un marqueur du calendrier culturel lagotien, programmée la première semaine de novembre, quelques jours après la Biennale et l’ouverture du Lagos Photo Festival. La popularité de la manifestation a incité d’autres initiatives parallèles à programmer leurs événements à la même période. L’Art Summit a lieu au même moment que la foire. L’underground bénéficie ainsi de la présence à Lagos des professionnel·le·s du milieu de l’art et des acteur·rice·s du secteur. En retour c’est l’occasion pour les événements grand public d’organiser des visites pour leurs invité·e·s et de nouer des relations avec certains espaces pour produire des projets « off ». Ces espaces marginaux, qu’il s’agisse du MoCA Lagos, du Junkyard Museum ou de lieux plus établis comme le CCA ou le plus récent Yemisi Shyllon Museum of Art, se situent tous à l’extérieur des îles. Des visites spéciales doivent donc être organisées pour permettre aux étranger·ère·s de visiter les expositions présentées dans ces espaces en un temps très limité. La relation symbiotique qui lie l’underground au mainstream est mise en évidence avec la programmation parallèle d’Art X qui propose conférences, installations publiques et performances : la Treehouse de Wura-Natasha a présenté plusieurs performances à l’occasion de l’édition 2019 de la foire, et, en 2018, A WhiteSpace Creative Agency de Papa Omotayo avait présenté une installation d’Olalekan Jeyifous à l’entrée de la foire.

Autre exemple de cette relation, la location par le Musée national du Nigéria (un musée ethnographique) de l’un de ses espaces d’exposition à d’autres organisations et particulier·ère·s pour y présenter leurs projets. Le musée profite de ces expositions temporaires venues de l’extérieur pour attirer de nouveaux·elles visiteur·euse·s, qui ne se seraient pas déplacé·e·s autrement pour visiter l’institution, depuis longtemps tombée en désuétude. Des espaces comme la Rele Gallery, qui a débuté de manière relativement modeste avant de devenir la référence qu’elle est aujourd’hui, profite de son voisinage avec le musée pour organiser des expositions de plus grande ampleur. Au début de l’année 2020, Rele a organisé au musée un événement dédié à ses jeunes talents, une exposition importante qui n’aurait pu être présentée dans le petit espace de la galerie. D’autres artistes, frustré·e·s par les tarifs exorbitants demandés par les galeries pour accueillir des expositions ont également recours au Musée pour y présenter leurs propres travaux.

Comme le National Museum, la National Gallery of Art aurait besoin de développer ses relations avec les espaces artistiques existants et nouveaux de Lagos pour y présenter ses collections. La National Gallery of Art in Lagos, qui occupe actuellement un local au sein du National Theatre, construit à l’occasion de FESTAC 77, n’offre que des conditions de conservation précaires pour la quasi-totalité de ses collections. Qu’empêche alors la galerie de prêter une partie de celles-ci aux nouveaux musées de Lagos ? Elle devrait également surfer sur le calendrier culturel de la ville pour organiser sa propre programmation et, si nécessaire, collaborer avec d’autres espaces pour bénéficier d’un accompagnement dans le processus de commissariat d’exposition.

Malgré l’engagement – louable – des artistes nigérian·e·s en faveur du développement de la scène lagotienne et nigériane en général, le manque d’organisation de la plupart des structures pose problème. Parce que ces espaces sont souvent gérés par des individus isolés, les établissements finissent par être brisés dans leur élan lorsque la personnalité qui les avait fait naître disparaît ou n’est plus capable d’en gérer les affaires courantes. C’est le constat évident que l’on peut tirer lorsque l’on pense aux projets initiés par Afi Ekong avec sa Bronze Gallery, Uche Okeke avec l’Asele Institute ou Demas Nwoko avec le New Culture Studios (qui publiait feu la revue New Cultural Journal). La Bronze Gallery d’Afi Ekong, déplacée à Calabar dans le sud-est du Nigéria à sa retraite, est restée porte close depuis son décès. Les initiatives portées par les artistes disparaissent avec eux lorsqu’aucune structure n’est conçue pour assurer la relève : cette liberté dont jouissent ces espaces, hors de tout contrôle gouvernemental, a un prix et implique une dépendance exacerbée aux guichets des institutions étrangères, qui sont loin de permettre un financement pérenne. On peut noter également comme corollaire le défaut d’une pratique de commissariat sérieuse, qui se traduit au sein de l’écosystème lagotien par un excès de bruit pour finalement bien peu de chose. Les problématiques d’ordre socio-politique sont aussi nombreuses que les sujets figuratifs. Étonnamment, seulement quelques-uns des lieux de l’underground lagotien se saisissent des questions politiques en jeu dans le pays. Les discriminations contre la communauté LGBT, l’intolérance religieuse, le terrorisme, la xénophobie sont pourtant autant de sujets brûlants qui n’attendent que d’être explorés. J’aurais attendu de ces lieux underground qu’ils profitent de leur indépendance pour explorer ces sujets sensibles, mais essentiels.

La programmation des évènements culturels entre le mois d’octobre et de novembre a ses avantages, comme mis en évidence plus haut. Pourtant, cela pose également problème pour la structure du calendrier culturel de la ville : la ruée sur la semaine d’Art X prive les espaces culturels, et en particulier aux espaces les plus marginalisés, de la chance de pouvoir organiser des projets à même de bénéficier d’une audience plus importante. Visiter une exposition ou assister à une conférence pendant quelques instants n’offre pas le temps de digérer le projet artistique ou la vision du·de la curateur·rice. De même, les visiteur·euse·s qui se rendent à Lagos hors de cette période passent finalement un peu à côté de la célèbre artmosphère de la ville.

En conclusion, la scène artistique de Lagos continue de défier les pronostics avec ses circonvolutions inattendues alimentées par son énergie impétueuse. Pourtant, alors que des initiatives nouvelles se développent, la question se pose de savoir ce qui est fait au niveau collectif par les grand·e·s acteur·rice·s du monde de l’art pour exploiter au maximum ces potentiels et développer une solide économie de la culture et un marché de l’art capable de se mesurer à celui de Johannesburg, Londres ou New York. Avec le projet de musée de stature internationale John K. Randle Centre for Yoruba Culture and History, actuellement en cours de construction à Onikan, à Lagos Island, au voisinage du National Museum, de la Rele Gallery et de Freedom Park, il sera intéressant de voir quelles nouvelles relations se développeront au sein de cet écosystème en mutation. Par exemple, d’assister davantage à l’émergence de relations horizontales entre les espaces artistiques marginaux plutôt qu’entre le marginal et le mainstream.


Bio :

Iheanyi Onwuegbucha est doctorant au sein du Département d’Arts et d’Archéologie de l’Université de Princeton. Il a assuré la direction du Centre for Contemporary Art Lagos. Il s’intéresse à l’art de l’après-guerre au Nigéria, et en particulier à l’émergence de la Nsukka Art School après la guerre du Biafra. Son projet curatorial actuel, « Archiving the Archive » se base sur une recherche longue et un travail de documentation des archives curatoriales en Afrique. Il a obtenu la bourse Chevening en 2016.







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Contempler Lagos par les yeux et les mains de ses artistes