La polarisation de plus en plus intense de la société suédoise a eu un impact sur la scène artistique de Malmö l’an dernier. Avec pour contexte deux campagnes électorales et une augmentation des actions fascistes, j’étais tout aussi susceptible de rencontrer des artistes à des vernissages qu’à diverses manifestations politiques. Le Moderna Museet a fermé ses portes un après-midi afin de permettre à ses employés de participer à une manifestation contre les violences racistes. Le collectif d’artistes Woodpecker Projects a organisé l’une des expositions les plus commentées à Malmö cette année, We Hate in Order to Survive, une exposition collective examinant la nature de la haine xénophobe ( «ses émotions, sa propagande et sa logique»). Une galerie commerciale faisant la Une des journaux pour avoir exposé des dessins islamophobes et des collages racistes fut le théâtre d’un piquet de grève organisé par des artistes. Nombre d’artistes locaux ont également rejoint les organisations solidaires des migrants qui vivent actuellement dans des cabanes dispersées dans la ville.
Le Moderna Museet de Malmö est une antenne du musée d’art moderne de Stockholm. Il a repris les locaux de l’ancien centre d’art Rooseum fin 2009, et combine depuis des expositions d’art contemporain et des présentations de la vaste collection du musée de Stockholm. L’an dernier, l’exposition quadriennale dédiée à la création suédoise, Modernautställningen, s’est pour la première fois tenue à Malmö au lieu de Stockholm. S’éloignant du format du panorama nationaliste prestigieux, les commissaires ont opté pour une exposition thématique rassemblant des artistes des pays entourant la mer Baltique.
Le Malmö Art Museum possède également une grande collection, et la diffuse à travers de multiples collaborations avec d’autres institutions. Parmi ses expositions récentes figure The Nordic Model ©, qui utilisait le dépôt de la marque «the Nordic model» comme point de départ d’une réflexion rétrospective sur les origines et la nature de la collection typiquement nordique du musée. L’exposition faisait dialoguer des artistes contemporains avec des œuvres historiques.
La Malmö Konsthall a récemment repris pied quand sa nouvelle directrice, Diana Baldon, a inauguré sa première exposition. The Alien Within réunissait les œuvres et documents de Christoph Schlingensief ayant abouti à son installation rotative intitulée Animatograph. A cela s’ajoutaient des conversations sur l’avenir du cosmopolitisme organisées dans le cadre d’un think tank incluant des personnalités comme la cinéaste Trinh T. Minh-ha et la sociologue Saskia Sassen. La Konsthall est par ailleurs reconnue pour son accessibilité, du fait par exemple de sa gratuité, de son entrée en rez-de-chaussée et de son spacieux restaurant où se retrouvent souvent les artistes locaux pour des réunions informelles.
Parmi les lieux d’art indépendants, Signal a acquis une reconnaissance internationale pour la qualité de ses expositions qui donnent à chaque fois matière à penser. Les événements accueillis par Signal, comme entre autres un cycle sur les méthodes de création artistique, ont été un important stimulus intellectuel pour les artistes locaux. Actuellement, Signal produit des expositions dans des lieux temporaires tout en recherchant de nouveaux locaux.
Lilith Studios, espace dédié à la performance, invite quatre artistes par an à produire des projets de grande envergure et ouverts au public pour de longues périodes. Actif depuis 2007, Lilith affirme être le premier studio de ce genre dans le monde. Parmi les performances produites l’an dernier, The Abstraction de l’artiste brésilienne Laura Lima a reçu des critiques élogieuses.
Par ailleurs, les galeries commericales Ping Pong et 21 méritent d’être mentionnées. L’an dernier, elles ont présenté ensemble une double exposition d’art contemporain japonais dont le commissariat était assuré par l’artiste Leif Holmstrang. Elles donnent régulièrement l’opportunité à des artistes locaux de présenter leur travail, et exposent souvent de jeunes diplômés. Une nouvelle importante pour l’écosystème artistique de Malmö l’an dernier est la récente perte de la galerie Elastic, qui a déménagé à Stockholm. Depuis des années, Elastic défend de nombreux artistes de qualité issus de Malmö, et elle participe aux grandes foires internationales.
Alors que les opportunités commerciales pour les artistes se réduisent, l’importance du monde académique comme perspective professionnelle augmente. Comme toutes les écoles d’art de Suède, la Malmö Art Academy investit dans la recherche et les études doctorales pour les artistes. La recherche est orientée vers l’identification, la compréhension et le développement d’une pensée artistique en tant que domaine spécifique de production de savoirs. Le travail artistique est à la fois une méthode et un objet d’étude. Marion Von Osten, Matthew Buckingham et Apolonija Sustersic notamment, se sont récemment investis dans des études doctorales à Malmö.
Plusieurs collectifs d’artistes se sont formés ces dernières années. Fournissant un soutien interne et des supports de promotion externe, motivés par des principes idéologiques et sociaux, ils jouent un rôle grandissant pour les artistes locaux. L’an dernier, le collectif Trumpeten s’est changé en un groupe actif produisant séminaires, expositions et débats, suite à un violent orage qui a inondé Malmö et a lourdement touché les musiciens et artistes installés en rez-de-chaussée, détruisant équipements et oeuvres, laissant nombre d’entre eux sans atelier pour encore longtemps. Trumpeten occupe actuellement un local commercial vacant, 1800 m2 mis à disposition par la Folkuniversitet (une association éducative).
C’est un mélange d’économie keynesienne traditionnelle et de la rhétorique de Richard Florida sur la «classe créative»1 qui a conduit la ville de Malmö a investir dans les infrastructures, les monuments, les appartements de bord de mer et l’enseignement supérieur. Les années de « boom » de Malmö impliquaient une génération de jeunes artistes issus de l’école d’art et ayant développé des carrières internationales, soutenus par le réseau de l’école, les activités de Rooseum sous la direction de Charles Esche (2000-2006), la représentation d’Elastic, et divers autres facteurs. Le futur de Malmö semble cependant plus problématique, alors que la discrimination à l’embauche et au logement persiste à être l’une des plus élevées d’Europe, et tandis que son infrastructure est inadaptée à d’éventuels désastres écologiques. Ces questions continueront d’influer sur la génération actuelle d’artistes actifs à Malmö, les manières dont ils s’organisent et dont ils travaillent.
Notes
- Richard Florida a théorisé le concept de classe créative et les implications de celle-ci pour la régénération urbaine. D’après Florida, les villes dotées d’une grande concentration de travailleurs actifs dans les domaines des technologies, des arts et de l’éducation témoignent d’un plus haut niveau de développement économique. Florida rassemble ces différents groupes sous l’appellation commune de classe créative.