Cette année, la rubrique Global terroir met à l’honneur la ville de Tirana qui, en 2020, célèbre son centième anniversaire en tant que capitale de l’Albanie. Plongé dans la région des Balkans, ce pays, longtemps tenu à l’écart du monde occidental, a su se faire connaître ces dernières années par son effervescence et ses nombreux·ses artistes reconnu·e·s sur la scène artistique internationale.
Depuis la mort du dictateur Enver Hoxha en 1985 et la chute de la dictature communiste qui s’est ensuivie en 1991, le peuple albanais s’est engagé pour combler le retard que sa société avait accumulé durant le régime et pour s’intégrer au fur à mesure à l’idée d’une Europe qui, trop longtemps, avait représenté un lointain mirage.
En France, plusieurs événements dédiés à l’art contemporain albanais ont eu lieu : il y a plus de trente ans, « L’Albanie, un réalisme socialiste » à la Galerie de l’Esplanade de la Défense ou plus récemment les monographies d’Anri Sala1 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris/ARC en 2004 et au Centre Pompidou en 2012, l’exposition personnelle d’Adrian Paci « Vies en transit » au Jeu de Paume en 2013 et, il y a trois ans, « Albanie, 1207 km est », une exposition consacrée à la scène artistique contemporaine albanaise mise en perspective avec l’histoire du pays et de ses collections nationales.
L’une des spécificités de l’Albanie est la figure d’Edi Rama2, Premier Ministre depuis 2013 et artiste internationalement reconnu. Bien qu’il ait promu diverses initiatives artistiques – la création de la Biennale de Tirana de 2001 à 2009, le lancement d’un projet de revalorisation de l’espace public par la mise en couleur des façades des immeubles de la capitale ou encore l’établissement en 2015 du Center for Openness and Dialogue - COD, un centre d’art au sein du bâtiment du Conseil des ministres –, sa présence à la tête du pays a compliqué le rapport entre l’art, sa perception et la société civile albanaise, attirant d’âpres critiques de la scène artistique locale. La question de la règlementation du statut d’artiste3 représente notamment une revendication importante des créateur·rice·s adressée au Premier Ministre ; celle-ci permettrait aux nouvelles générations de bénéficier d’une reconnaissance juridique et d’un système spécial de retraite.
Dans le cadre du voyage de recherche de La belle revue à Tirana, nous avons rencontré plusieurs artistes au profil international qui, en plus de leur pratique artistique, contribuent aujourd’hui de manière active au dynamisme de la scène culturelle locale, au travers de différentes initiatives. Genti Korini, cofondateur du lieu de diffusion Bazament, Endri Dani, Olson Lamaj et Remijon Pronja, cofondateurs de la galerie Miza, Donika Çina, impliquée dans la coordination du ZETA Center for Contemporary Art, et Driant Zeneli, cofondateur d’Harabel Contemporary Art Platform.
Grâce à ces rencontres, nous avons pu constater l’envie commune de rendre attractif le milieu artistique local qui, malgré le manque d’un dialogue suffisamment poussé entre les scènes indépendante et institutionnelle, bénéficie de l’énergie pulsante de la ville et de ses habitant·e·s. L’absence d’un système institutionnel solide dédié au soutien et à la promotion des artistes mène finalement à l’apparition de nouveaux lieux indépendants et de formes d’expérimentation caractérisées par une grande liberté d’expression.
Pour mieux comprendre la scène artistique locale, nous avons fait appel à trois auteurs et autrices, albanais·e·s et étranger·ère·s, qui présentent une relation forte avec le territoire. Adela Demetja, curatrice et fondatrice du TAL – Tirana Art Lab, propose un bref panoramique sur le développement de l’art contemporain dans la capitale, de la chute du régime communiste à nos jours, en traçant les lieux historiques et contemporains qui ont fait l’histoire du milieu artistique albanais. L’artiste et chercheuse Valentina Bonizzi raconte par la suite les histoires de trois femmes albanaises de générations différentes et le développement de leurs carrières dans le contexte artistique local. Enfin, Raino Isto, historien de l’art, artiste et curateur, propose une réflexion sur les pratiques de certain·e·s artistes contemporain·e·s qui ont abordé la thématique, souvent très conflictuelle, du patrimoine et de sa conservation au sein de l’espace public de Tirana.
Notes
- En 2013, Anri Sala représente la France à la 55e édition de la Biennale de Venise.
- La carrière politique albanaise d’Edi Rama (Tirana, 1964-) démarre avec sa nomination comme Ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports de 1998 à 2000, puis par son élection comme Maire de Tirana de 2000 à 2004 et celle de Premier Ministre depuis 2013. En tant qu’artiste il a participé à plusieurs éditions de la Biennale de Venise et son travail a été montré dans des institutions majeures : le Centre Pompidou (Paris), la galerie Marian Goodman (New York), le New Museum (New York) ou encore l’Haus der Kunst (Munich).
- Pour plus d’informations sur la question du statut d’artiste en Albanie, voir ces trois articles (en albanais) :
« Des discussions sur le statut de l’artiste ont commencé en Albanie, le ministère de la Culture dans la phase de rédaction de la loi », Kosova.info, 29 juin 2019 www.kosova.info/ ne-shqiperi-kane-filluar-diskutimet-per-statusin-e-artistit-ministria-e-kultures-ne-fazen-e-hartimit-te-ligjit [consulté le 26 février 2020]
Julia Vrapi, « Artistes : les institutions vieillissent, nos demandes n’ont pas été examinées depuis 20 ans par le ministère de la Culture », Sot, 9 août 2019
www.sot.com.al/ kultura/artistet-institucionet-po-plaken-kerkesat-tona-nuk-merren-parasysh-prej-20-vitesh-nga [consulté le 26 février 2020]
« Niada Saliasi : Difficile de vivre avec le salaire d'un acteur en Albanie, le statut d’artiste doit être requis », Shqiptarja, 22 février 2019
www.shqiptarja.com/ lajm/niada-saliasi-e-veshtire-te-jetosh-me-rroge-aktori-ne-shqiperi-duhet-patjeter-statusi-i-artistit [consulté le 26 février 2020]