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Benjamin Blaquart - This Space Between You And Me

par Benoît Lamy de La Chapelle

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Il semble difficile de se sentir dans une exposition lorsque nous pénétrons This Space Between You And Me  de Benjamin Blaquart, non pas en raison de la nature purement immersive de l’installation, mais surtout parce qu’il s’agit, disons-le, d’un véritable décor de science-fiction. Dans ce collège isolé au sud de la Nièvre, ce « décor » ne se limite pas à l’agencement des différentes créa-tions/tures de l’artiste, mais commence dès l’extérieur, lorsqu’on s’apprête à pénétrer ce préfabriqué blanc et usé dans lequel les scenarii les plus insolites peuvent avoir cours. L’artiste s’intéresse justement à la manière dont l’architecture peut générer des scenarii1 et semble avoir vu en ce petit bâtiment l’endroit idéal pour échafauder ce qui se rapproche peu ou prou d’un laboratoire de recherches biotechnologiques, dans lequel auraient lieu des expériences tenues secret-défense visant à procréer un système organique autonome maintenu en vie artificiellement.

Plongée dans l’obscurité et faiblement éclairée par des néons bleutés, la salle est ainsi peuplée d’éléments aux formes et fonctions variées, communiquant grâce à un réseau d’artères dans lesquelles circule un liquide non-identifié. Tous sont alimentés par une cuve centrale, la « matrice » de ce système bionique, fonctionnant en circuit clos. Si l’on y rencontre de petites plantes végétant çà et là, la présence humaine fait défaut et se réduit à des mots désincarnés, lisibles sur des supports déshumanisés. Sans connaitre le dessein de cet appareillage, nous remarquons des prothèses musculaires soumises à des tests. Cette scène présenterait donc la fabrication des moyens prothétiques nécessaires à l’augmentation de l’humain, ou plutôt, une manière de le faire vivre en harmonie avec son environnement naturel et technologique, en le rendant plus adapté et fusionnel. Plus apte ? Aussi, se trouverait bien dissimulé entre quatre murs, le futur stade évolutif de l’espèce humaine, venant faire corps avec la machine et la végétation, formant un être androgyne, qui ne se reproduirait qu’artificiellement. Cette hypothèse semble se confirmer en visionnant la vidéo Well Being (2015) (diffusée par l’intermédiaire de lunettes d'immersion FPV), pouvant s’interpréter comme la modélisation 3D du corps en fabrication dans la salle. Celle-ci présente des membres corporels ultra-perfectionnés se greffant les uns aux autres pour finalement former ce corps parfait, dont chaque fonction assure la garantie d’un corps sain dans un esprit sain, vivant en parfaite eurythmie avec son milieu, nourri de préceptes taoïstes et zen, déjà si familiers dans le vocabulaire de coaching managérial ou du bien-être au travail, transformant les être en des machines à travailler plus performantes au lieu de leur permettre de s’émanciper… Nous fleuretons ici avec l’eugénisme et le monde dépeint par Aldous Huxley2 dans Brave New World (1932), ce que corrobore l’apparition de la question « What have we done ? » sorte de prise de conscience soudaine bien que tardive, impliquant une situation imprévue irréversible, un cri sourd de détresse se perdant dans les limbes… Et qui parle ici, qui ressent ? Il convient de se demander alors si ce nouveau corps est doué d’émotions et d’affects. Ressent-il de l’empathie ? C’est par cette question que débute un poème3 diffusé sur écran électronique, évoquant les relations (amoureuses) entre les êtres à l’heure du numérique. On y lit plus loin, « We don’t have to talk to each other anymore - Now, we can talk at each other instead », ou encore « I remember when we used to fuck each other - Now, we can fuck at each other instead ». Ces vers sont ambigus : nos relations médiatisées par la technologie sont-elles meilleures ou nous condamnent-elles à la déréliction ? À l’aune des avancées de la physique quantique, This space between you and me semble interpréter cette zone spatiale entre les êtres, non comme relevant de la distance ou de l’isolement, mais comme porteuse d’autres types de rapports sociaux, permettant un autre type d’empathie, à l’instar des nouvelles thérapies alternatives qui aujourd’hui, grâce à la médecine quantique, peuvent être prodiguées efficacement par téléphone ou internet4.

Benjamin Blaquart n’entend pas dépeindre un futur dénué de toute émotion humaine, mais tente au contraire d’imaginer comment les êtres pourraient évoluer positivement dans un monde où artifice et nature, virtuel et réel, fusionnent à terme. Si, comme semble l’insuffler sa démarche, la technologie s’immisce toujours plus dans les relations entre êtres vivants (quitte à remplacer ces derniers), il n’est pas nécessaire de faire machine arrière mais plutôt, de reconquérir la technologie tout en rénovant nos rapports ancestraux à la nature − sans essentialisme aucun − afin de vivre en toute conscience et équitablement avec ce qui constitue l’univers. 




Benjamin Blaquart - This Space Between You And Me
   Parc Saint Léger hors-les-murs, collège Le Rimorin, Dornes
   8 avril > 3 juin 2016

http://www.parcsaintleger.fr/index2.php?p=5116

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Benoît Lamy de La Chapelle benjamin Blaquart
—» https://www.labellerevue.org/fr/critiques-dexpositions/2016/category/parc-saint-leger-hlm



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