Le 29 octobre 2020 s’ouvrait à Saint-Étienne Carbone 20, deuxième édition de cette « biennale de collectifs et lieux d’artistes ». Le parcours commençait sous l’enseigne défraîchie d’une boutique de prêt-à-porter, « Miss Mode », où étaient installés l’accueil et la librairie, avant de se poursuivre dans différents espaces vacants de l’ancienne cité industrielle promise à sa reconversion en capitale du design. Ce parti pris fait la singularité de cet événement et en assure sa pertinence : loin de se présenter comme un bienfaiteur social et économique venu de l’extérieur, le projet artistique initié depuis un maillage local (projet porté par Les Limbes, Saint-Étienne) consiste à installer l’art, temporairement, là où il y a de l’espace vide. De l’espace, c’est bien ce qui manque aux artistes dans les villes, et ce que Saint-Étienne a à offrir. Autre particularité, cette biennale de lieux d’artistes n’est pas issue d’un commissariat commun et ne défend donc aucun discours sur l’art ou sur l’état du monde contemporain. À la lumière des œuvres présentées, les structures et les travailleur·euse·s qui rendent possible la création contemporaine sont valorisé·e·s – une réalité trop souvent mise en second plan dans les récentes biennales1.
Carbone réunit une grande diversité de projets et de structures, artist-run spaces, ateliers, résidences, revues ou ondes radiophoniques, situés dans la région, mais aussi, pour cette seconde édition, élargi au niveau national et international (Suisse, Portugal, Maroc, Russie). Il s’agit alors d’une opportunité rare pour les artistes et les acteurs du monde de l’art associatif de se rencontrer. Des lieux orientés vers la jeune création et implantés dans un réseau régional, comme l’atelier Sumo à Lyon, voisinent avec des project spaces internationaux exposant des artistes plus confirmé·e·s comme Issmag à Moscou, des lieux historiques comme Circuit à Lausanne, et partagent le trottoir avec des espaces tout jeunes comme Sissi Club à Marseille, fondé en 2019 par les historiennes de l’art Elise Poitevin et Anne Vimeux.
Chaque structure invitée traduit ou transpose pour Carbone son identité et ses modes de travail, souvent liés à des espaces ou des économies particulières. Home alonE (Clermont-Ferrand), qui organise des expositions dans une collocation, recrée un espace domestique au sein d’un local en déshérence. D’autres structures produisent une image inversée de leur activité, comme cONcErn qui accueille sur son site de Cosne-d’Allier des œuvres volumineuses n’ayant pas trouvé de solution de stockage. En collaboration avec La Société des Nouveaux Mondes (Chloé Devanne Langlais), cette infrastructure artistique présente le projet RE-produce : des œuvres mises en dépôt sont répliquées en miniature à l’aide d’une imprimante 3D, comme une tentative de sauvegarde de celles-ci.
L’indépendance de ces lieux se manifeste aussi par la liberté critique et les positionnements politiques tenus. L’appartement 22 à Rabat choisit de présenter le projet « Help » mené par le curateur Abdellah Karroum et l’artiste Georgia Kotretsos dans le bassin méditerranéen, dont l’archive se présente sous la forme d’une série de photographies d’appels à l’aide, tels des messages de naufragé·e·s, dessinés par des rangées de parasols sur des plages touristiques. Plus loin, le centre d’art marocain convie les visiteur·euse·s à se réunir et prendre soin de plantes d’intérieur, rejouant une séquence de résistance et de transition au cours de laquelle l’appartement 22 s’est structuré en coopérative pour faire face à la crise. Le motif de la communauté se retrouve sous plusieurs enseignes et prend les traits d’une organisation secrète dans le projet radiophonique mobile S.C.A.L.A.R.I.S.A.T.I.O.N. dont les ondes influent sur les images d’Antoine Palmier-Reynaud. C’est cette communauté qu’évoque Olivier Marboeuf, fondateur de KHIASMA aux Lilas, qui revient sur l’histoire du lieu fermé en 2018 en évoquant « quelque chose qui résulte d’une expérience partagée, d’un temps passé à veiller ensemble, avec des artistes, des gens de passage ou des résidents, des proches et des lointains, autour d’œuvres en train de prendre forme ».
Après un premier report du printemps à l’automne, Carbone 20 a assuré une « ouverture éclair avant confinement », ajourant hélas certaines expositions, performances ainsi que la journée d’étude sur les communautés artistiques temporaires et l’auto-organisation2. Elle aura existé intensément le temps d’une journée qui a suffi à démontrer le dynamisme de l’équipe bénévole et l’enthousiasme des structures invitées, jusqu’à la prochaine édition.
Notes
- Voir Nathalie Quintane, « L’art en temps de panique », Switch (on paper), 10 décembre 2020 et Aurélie Cavanna, « Manifesta 13, l’art à tout faire ? », artpress n°483-484, décembre 2020-janvier 2021
- Cette journée d’étude intitulée « Constellations : pratiques collégiales dans le champ de l’art » était organisée par Idoine, le CIEREC et Carbone 20. Suite à son annulation, une édition invitant chaque structure à faire une proposition adaptée à l’espace du livre sera publiée.