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Traduction Benoît Lamy de La Chapelle

Le Cap confirme la position centrale de sa scène artistique en Afrique du Sud

par Sean O Toole

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Un jour sur deux, sur le chemin de Sir Lowry Road, l’adresse de choix pour qui veut visiter les galeries les plus progressistes du Cap représentant des talents locaux comme Kemang wa Lehulere et Igshaan Adams, je passe à côté d’une source naturelle alimentée par Table Mountain, un des plus anciens sommets au monde. De même que dans n’importe quelle partie de cette cité portuaire, qui traverse actuellement sa pire sècheresse depuis un siècle, les résidents remplissent leur jerricane en plastique en respectant le quota quotidien d’eau imposé par les autorités. En ville, dans l’hôtel de luxe perché en haut du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa − un nouveau musée consacré à l’art africain d’après 2000 pensé par l’architecte Thomas Heatherwick − les baignoires en forme d’œuf sont actuellement hors service, leurs prises débranchées.                                                                                                                 

La sécheresse est un sujet de discussion majeur chez les Captoniens : on s’attend à ce que les réserves d’eau soient taries en avril, avant les pluies d’hiver annuelles. Le Cap pourrait devenir la première grande métropole mondiale à se trouver à cour d’eau, selon un article du New York Times[1]. Une tête de pont pour l’installation des blancs sur le sous-continent depuis 1652, Le Cap est la plus ancienne des villes modernes d’Afrique du Sud. Dès le XIXe siècle, elle est devenue le centre d’une scène artistique florissante. Ce processus fut couronné par la fondation en 1895 de la South African National Gallery, le seul musée national d’art du pays. L’ouverture du Zeitz MoCAA, localisé dans le quartier commercial Victoria & Alfred Waterfront et présentant la collection de l’homme d’affaire allemand Jochen Zeitz, confirme l’hégémonie de longue date du Cap sur les arts visuels.

Durant l’entre deux guerre (1918-39), Le Cap est resté le centre de l’innovation artistique en Afrique du Sud, notamment pour la peinture. Irma Stern, peintre expressionniste formée à Berlin, qui habitait une résidence somptueuse au Cap, était une artiste incontournable à son époque. Habituée du pavillon national du pays à la Biennale de Venise, l’héritage de son style gestuel est visible dans le travail de peintres captoniennes telles que Penny Siopis, Georgina Gratrix et Mia Chaplin. Plus éloquent, Stern reste l’artiste sud-africaine la plus recherchée en maisons de vente, le prix de ses œuvres l’élevant parmi les dix femmes artistes les plus cotées durant les ventes mondiales entre 2005 et 2015.

Pendant les décennies d’après 1945, tendues politiquement mais saines financièrement, c’est Johannesburg, et non Le Cap, qui devient le centre d’innovation en art. C’est là qu’est né le peintre abstrait Ernst Mancoba, membre du groupe CoBrA, et là que vivent des artistes tels que David Goldblatt, William Kentridge et Santu Mofokeng bien connus des amateurs d’art français. En 1995, Johannesburg tente de consolider sa première place avec le lancement de sa Biennale. David Bowie, qui ne faisait plus de musique à ce moment-là, écrit à propos de sa visite de la Biennale dans les pages de Modern Painters : « après les clôtures blanches, les pelouses vertes du Cap, Johannesburg est un cauchemar urbain. Brutale à la Blade Runner dans ses rues hostiles et grouillantes, et vraiment excitante »[2]. Malheureusement, le projet de la Biennale, qui n’a eu lieu qu’à deux reprises (1995 et 1997), fut un échec.

Depuis et malgré sa propre tentative de relancer le format de Biennale avec CAPE07 et CAPE09, Le Cap a réaffirmé sa position de centre artistique d’Afrique du Sud. Ce renouveau allait de pair avec un intense activisme. En 2015, une sculpture en bronze représentant Cecil John Rhodes (magnat britannique de l’industrie minière et homme politique du Cap) à l’Université du Cap (UCT) est devenue le point central des guerres culturelles post-apartheid du pays. Interprétée par les étudiants comme un symbole répressif de la ʺsuffocating whitenessʺ [3], comme l’a remarqué le sociologiste Xolela Mangcu, elle fut enlevée par la suite. En 2016, un petit groupe d’étudiant d’UCT a brulé vingt-quatre œuvres exposées à l’université. On pouvait entendre crier ʺNo time for white tears hereʺ [4]. Les membres d’un collectif Trans – une coalition autoproclamée LGBTIAPQ+ − ont également vandalisé une exposition de photographies commémorant le premier anniversaire du mouvement Fallist et, également en 2016, l’École d’art de l’UCT – où fut formée Marlene Dumas – a été occupée.

Cette activisme a donné naissance à ses propres talents. Le collectif strictement féminin iQhiya, comprend onze femmes noires toutes diplômées de l'École d’art de l’UCT, qui ont réalisées des performances publiques autour du Cap et ont également participé à la Documenta 14. Membre d'iQhiya, le travail de Sethembile Msezane est également présenté dans les collections du Zeitz MoCAA. Les orientations du musée zimbabwéen Kudzanai Chiurai, divisent l'opinion. Mark Coetzee, le directeur artistique du Zeitz MoCAA a choisi le thème de la figuration comme leitmotiv de son exposition inaugurable. Ce dernier m'a confié que sa décision était influencée par deux facteurs clés : la valeur de fétiches des "selfies et images photographiques" chez la génération Y et le besoin toujours pressant, dans l'Afrique du Sud post-apartheid, d'offrir aux visiteurs noirs des œuvres auxquelles ils puissent s'identifier[5]. Les nouvelles pratiques d'artistes tels qu'Athi-Patra Ruga et Mary Sibande sont caractéristiques de la prospérité du baroque privilégié par le Zeitz MoCAA.

Outre que l'actuelle crise de l'eau représente de véritables risques pour Le Cap, notamment concernant l'agitation civile, elle la conforte à de perpétuels défis. La ville est-elle viable à long terme ? Pour le moment, les collectionneurs aisés semblent confiants. En 2017, la collectionneuse Wendy Fisher a inauguré A4 Arts Foundation, un espace tourné vers un esprit de dialogue qui pourrait venir compléter les lacunes du Zeitz MoCAA. Il s'ajoute à un réseau de nouveaux espaces, incluant le Maitland Institute, un espace dédié aux projets indépendants fondé par le collectionneur Tammi Glick qui présentera cette année Nicholas Hlobo et Donna Kukama. L'ouverture récente de la Norval Foundation, proposant également un parc de sculptures, apportera plus de diversité à l'art montré au Cap.

Visiblement, la scène artistique du Cap se porte très bien. Notons cependant que toutes les institutions mentionnées ci-dessus sont possédées par des blancs. Les jeunes artistes en particulier ne sont pas satisfaits et la "suffocating whiteness" perdure. Les nuages d'orage qui se profilent à l'horizon du Cap n'indiquent pas la pluie, mais de possibles protestations à venir.




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Sean O Tool
—» https://www.labellerevue.org/fr/global-terroir/le-cap/category/le-cap



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