En 2015, La belle revue a initié la rubrique Global Terroir avec l’envie de mettre en lumière la scène artistique d’un territoire étranger situé au-delà des grandes capitales, d’aborder les problématiques propres aux localités éloignées, similaires à celle dans laquelle nous nous trouvons. Une initiative ambitieuse pour un nombre de pages aussi limité, mais une initiative sincère qui nous a amené·e·s à rencontrer et à partager des expériences avec des travailleur·euse·s de l’art de Malmö, Porto, Bangkok, Le Cap, Beyrouth, Tirana et Lagos. Pourtant, aujourd’hui, la cartographie d’une scène artistique résonne différemment, et avec les temps qui changent, nos rubriques évoluent aussi. Ainsi, pour ce dernier Global Terroir, notre attention s’est déplacée d’une seule ville à deux, étant entendu que la notion de territoire s’étend au-delà des frontières et qu’une scène est souvent construite et définie par les mouvements qui s’opèrent vers, dans et au-delà de ces espaces.
Si en France des manifestations artistiques récentes ont mis en lumière la scène artistique algérienne et ses diasporas – « En attendant Omar Gatlato » (Triangle-Astérides, 2021, commissariat Natasha Marie Llorens), « Quelque part entre le silence et les parlers » (Maison des Arts de Malakoff, 2021, commissariat Florian Gaité), « Barzakh » de Lydia Ourahmane (Triangle-Astérides, 2021, commissariat Céline Kopp) ou plus récemment la nomination de la première artiste française d’origine algérienne, Zineb Sedira, pour représenter la France à la Biennale de Venise en 2022 –, il nous a semblé pertinent pour ce dernier Global Terroir de nous adresser aux travailleur·euse·s culturel·le·s basé·e·s en Algérie et lié·e·s à ce pays.
C’est donc vers les villes d’Alger et d’Oran que nous nous sommes tourné·e·s. Des villes distantes d’environ 400 km, avec des histoires artistiques différentes, mais ayant néanmoins toutes deux une importance cruciale au sein d’un pays qui a souffert de blessures historiques résultant de longues années de colonisation française, suivies de trente ans de libération (à partir de 1962) avant la décennie noire (1991-2002). Deux villes situées sur les côtes de la Méditerranée, une mer que près d’un million de personnes en Algérie ont traversée pour rejoindre la France entre 1954 et 1962. Les liens avec la France sont donc évidents, bien que complexes et douloureux, et racontent des traumatismes sociopolitiques et postcoloniaux largement questionnés aujourd’hui.
Au sein des histoires postcoloniales, certains mots résonnent fort : effacement, expulsion, déplacement, fragmentation et, enfin, re/construction. Les autrices invitées à contribuer à cette rubrique abordent chacune ces idées, racontant, dans leur ensemble, divers témoignages sur la façon dont les artistes et les travailleur·euse·s de l’art (se) re/construisent et agissent au sein d’écosystèmes désarticulés.
L’artiste Amina Menia nous conduit à travers le paysage fragmenté d’Alger dans une prose qui témoigne de la nécessité de sublimer les obstacles en refusant de les subir. La structure même du texte – divisé en diverses strophes – offre ainsi une vue sur plusieurs strates – artistique, politique ou bien historique – de la ville et révèle la manière dont l’artiste navigue entre elles. Et si l’artiste se déplace en dehors de sa ville natale, cette ville reste là, avec elle, en résonance autant qu’en opposition. Un texte qui confirme ainsi qu’un récit personnel est par essence politique.
Dans son texte « Opérer en Algérie : une joyeuse schizophrénie », Myriam Amroun, co-fondatrice et directrice artistique de rhizome (Alger), curatrice et opératrice culturelle, révèle combien persévérer est nécessaire pour naviguer dans un contexte imprévisible, changeant et peu fiable. Myriam Amroun décrit la manière dont la décennie noire a affecté la culture, et comment, à partir de cette période difficile, des structures ont émergé et ont reconstruit leurs propres modes de fonctionnement en réponse à des politiques fluctuantes et à un manque d’infrastructure. Si elle décrit son expérience de travailleuse de l’art à Alger, ces fonctionnements mouvementés se répercutent entre la capitale et Oran, et même au-delà.
Bien que nous ayons, dans un premier temps, porté notre attention sur la capitale, la curatrice Natasha Marie Llorens a voulu nous mener dans le paysage artistique d’Oran, nous rappelant que se concentrer uniquement sur la capitale serait sûrement une erreur. L’autrice nous raconte les particularités de cette ville effervescente, en soulignant sa richesse culturelle dans les ann.es qui ont suivi l’indépendance de l’Algérie, et comment celle-ci a été continuellement interrompue par l’exode. À travers une lecture d’œuvres de Lydia Ourahmane et de Sadek Rahim – artistes qui ont respectivement capturé l’esprit mouvementé d’Oran – Natasha Marie Llorens révèle l’impact des allées et venues, non seulement d’artistes, mais aussi d’habitant·e·s, sur la scène artistique de la ville.
S’il s’agit du dernier Global Terroir, les voix de nos camarades d’autres territoires distants se retrouveront néanmoins au fil des pages de chaque numéro à venir. Reflétant ainsi quelque chose des échanges culturels, du mouvement, du déplacement, des nouvelles générations et des politiques fluctuantes qui façonnent ces territoires, des lieux toujours sujets à la transformation.